Gaia et trous noirs ?

Gaia a-t’elle trouvé le lien manquant dans l’évolution des trous noirs ?

 

ESA 2023 05 23

 

Lorsque le vaisseau spatial Gaia de l’ESA a scanné la constellation du Scorpion et son ancien amas d’étoiles globulaires Messier 4, il a capturé quelque chose d’étrange : une énorme tache sombre au centre de l’amas, 800 fois plus massive que notre Soleil.

Il est normal que les amas globulaires aient des centres sombres constitués de nombreuses étoiles mortes. Mais la masse au centre de Messier 4 semble différente – bien qu’elle soit particulièrement grande, elle semble être comprimée dans un volume d’espace étonnamment petit.

« En utilisant les dernières données de Gaia et Hubble, il n’a pas été possible de faire la distinction entre une population sombre de restes stellaires et une seule source ponctuelle plus grande », explique Eduardo Vitral du Space Telescope Science Institute, qui a dirigé cette recherche. « Donc, l’une des théories possibles est qu’au lieu d’être une multitude de petits objets sombres séparés, cette masse sombre pourrait être un trou noir de taille moyenne ».

Les astronomes réfléchissent à ces « trous noirs de masse intermédiaire » depuis plus de deux décennies, mais la preuve concluante de leur existence reste insaisissable. La plupart des trous noirs que nous connaissons sont soit les plus petits restes de « masse stellaire » d’étoiles géantes (jusqu’à 100 fois la masse du Soleil), soit les ancres centrales supermassives de grandes galaxies (des milliards de fois la masse du Soleil). Pesant environ de 100 soleils à 1 million de soleils, les trous noirs de masse intermédiaire seraient le lien entre les deux.

 « La science consiste rarement à découvrir quelque chose de nouveau en un seul instant. Il s’agit de devenir plus certain d’une conclusion étape par étape, et cela pourrait être une étape vers la certitude que des trous noirs de masse intermédiaire existent », explique Timo Prusti, scientifique de la mission Gaia. « Les données de Gaia Data Release 3 sur le mouvement propre des étoiles dans la Voie lactée ont été essentielles dans cette étude. Les futures publications de données Gaia, ainsi que les études de suivi des télescopes spatiaux Hubble et James Webb pourraient apporter davantage de lumière ». Un article résumant la recherche a été publié aujourd’hui dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. La recherche a également utilisé les données du télescope spatial Hubble. Messier 4 est l’amas globulaire le plus proche de la Terre. Il peut être vu à travers des télescopes et capturé avec un bon appareil photo. Les astronomes de l’hémisphère sud devraient regarder vers le centre de la Voie lactée, où Messier 4 se trouve dans la constellation du Scorpion entre la Balance et le Sagittaire.   

 

Traduction : Olivier Sabbagh   

 

NDT : Wikipedia : M4 (ou NGC 6121) est un amas globulaire situé dans la constellation du Scorpion à environ 7 200 a.l. (2,2 kpc) du Soleil et à 19 000 a.l. (5,9 kpc) du centre de la Voie lactée. À cette distance, c’est l’amas globulaire le plus rapproché du système solaire. Il a été découvert par l’astronome suisse Jean Philippe Loys de Cheseaux en 1746.  La vitesse radiale héliocentrique de cet amas est égale à (70,4 ± 0,3) km/s.

Observation

L’amas est visible avec des jumelles ou une lunette sous la forme d’une tache floue. Un télescope de 10 cm de diamètre permet d’y résoudre de nombreuses étoiles. Dans les latitudes nord, la faible élévation du Scorpion rend son observation plus difficile.

Caractéristiques

Selon Forbes et Bridges, sa métallicité est estimée à −1,05 [Fe/H] et son âge d’environ 12,54 milliards d’années. Selon une étude publiée en 2011 par J. Boyles et ses collègues, la métallicité de l’amas globulaire NGC 6121 est égale à -1,16 et sa masse est égale à 195.000 masses solaires. Dans cette même étude, la distance de l’amas est aussi estimée à environ 2,2 kpc (∼7 180 a.l.). Une autre étude publiée en 2008 indique que la métallicité de M4 est égale à -1,07 ± 0,01. On peut donc raisonnablement conclure que la métallicité de M4 est comprise entre -1,16 et -1,05.

La métallicité d’un objet céleste est le logarithme du rapport de sa concentration en fer sur celle du Soleil. Une métallicité de -1,16 à -1,05 signifie que la concentration en fer de M4 est comprise entre 6,9 % et 8,9 % de celle du Soleil. Après le Big Bang, l’Univers étant surtout composé que d’hydrogène et d’hélium, la métallicité était pratiquement nulle. L’univers s’est progressivement enrichi en métaux (éléments plus lourds que l’hélium) grâce à la synthèse de ceux-ci dans le cœur des étoiles. La métallicité des amas du halo de la Voie lactée varie d’un centième à un dixième de la métallicité solaire, ce qui signifie que les amas du halo se composent de deux sous-groupes, les relativement jeunes et les vieux. Selon sa métallicité, M4 serait donc un amas relativement jeune.

L’amas globulaire M4 photographié par télescope de 2,2 mètres MPG-ESO de l’Observatoire de La Silla

Le centre de l’amas globulaire M4 par Hubble

Le cas très étonnant de la planète découverte dans l’amas M4

Une très vieille planète
Au mois de juillet 2003, le télescope spatial Hubble a permis aux astronomes de faire une étonnante découverte dans M4, une exoplanète appelé PSR B1620-26 b dont la masse est estimée à 2,5 fois celle de Jupiter. Son âge est estimé à 13 milliards d’années, presque trois fois l’âge du système solaire. Et tout aussi étonnant, cette planète est en orbite autour d’une naine blanche et d’un pulsar.

PSR B1620-26 b, parfois appelée PSR B1620-26 c, surnommée de façon non officielle Mathusalem ou plus rarement la « planète de la Genèse », est une exoplanète circumbinaire d’environ 2,5 masses joviennes découverte en 1993 autour d’un système binaire distant d’environ 12 400 années-lumière (3,8 kpc) de la Terre dans l’amas globulaire M4 de la constellation du Scorpion, 1,3° à l’ouest de l’étoile Antarès. 

Système binaire
Son système binaire est formé par PSR B1620-26 et WD B1620-26, respectivement un pulsar d’environ 1,35 masse solaire et une naine blanche d’environ 0,34 masse solaire orbitant l’un autour de l’autre à environ une unité astronomique de distance en 191,4428 jours (un peu plus de six mois). 

Son orbite circumbinaire
La planète PSR B1620-26 b orbite autour de ces deux étoiles avec une période de révolution d’une centaine d’années, un demi-grand axe de l’ordre de 23 UA et une inclinaison de 55°. Il s’agirait de la plus ancienne planète connue, âgée de peut-être 13 milliards d’années (le triple de l’âge de la Terre) dans la mesure où les étoiles constituant l’amas globulaire M4 sont âgées en moyenne de 12,2 milliards d’années.

Représentation du système planétaire de PSR B1620-26, avec la planète en avant-plan et le pulsar et la naine blanche dans le lointain

Scénario supposé de formation
Cette planète pourrait avoir été formée à l’écart du pulsar actuel en bordure de l’amas globulaire en même temps que les autres étoiles de M4 avant que le système planétaire dont elle faisait partie ait été capturé par une étoile à neutrons dont le compagnon d’alors aurait été éjecté du système. Parvenue au stade de géante rouge, l’étoile incidente, alors satellisée autour de l’étoile à neutrons, aurait vu ses couches extérieures aspirées par cette dernière pour ne laisser qu’une naine blanche, il y a de cela environ 500 millions d’année, tandis que l’étoile à neutrons, devenue plus massive, se transformait en pulsar millisecondes.

Traduction (OS) des textes figurant dans l’illustration ci-dessus : 

Planète jovienne dans l’amas globulaire M4 : spectateur calme dans un drame stellaire

Images du haut, de gauche à droite, puis vers le bas :

  • La planète jovienne se forme autour d’une étoile de type « Soleil » dans les faubourgs de M4 il y a 13 milliards d’années. La planète jovienne d’une masse de 2,5 fois celle de Jupiter.
  • Le système planétaire se déplace vers le cœur de l’amas M4. L’étoile passe au travers du cœur de M4 et est attirée par une étoile à neutrons et son compagnon.
  • L’étoile à neutrons qui tourne lentement sur elle-même capture l’étoile et sa planète. Sa planète, partenaire originale, est expulsée dans l’espace.

• L’étoile de type Soleil gonfle en une géante rouge, répandant et transférant de la matière sur l’étoile à neutrons.• L’étoile à neutrons se met à tourner, devenant un pulsar qui tourne 100 fois par seconde (PSR B1620-26). La géante rouge devient une naine blanche faite d’hélium.• La planète jovienne continue son orbite, relativement peu perturbée autour du nouveau système binaire Pulsar B1620-26 – Naine blanche 

Composition supposée
Compte tenu de son grand âge, PSR B1620-26 b ne se serait formée qu’un milliard d’années après le Big Bang et ne contiendrait donc quasiment que des éléments chimiques issus de la nucléosynthèse primordiale, c’est-à-dire l’hydrogène, le deutérium, l’hélium (isotopes 3He et 4He) et le lithium (isotopes 6Li et 7Li).