Asteroide

L’ESA envisage une mission vers le plus petit astéroïde jamais visité – 4 Février 2019

La mission Hera de l’ESA, pour la défense de la planète, va établir un nouveau record dans l’espace. L’enquêteur sur les astéroïdes sera non seulement le premier vaisseau spatial à explorer un système binaire d’astéroïdes – le couple Didymos – mais le plus petit de ces deux mondes, de taille comparable à la Grande pyramide de Gizeh en Égypte, deviendra le plus petit astéroïde jamais visité.

Astéroïdes et comètes visités par des sondes

De loin, un astéroïde ressemble beaucoup à un autre, jusqu’à ce que vous les compariez directement. En vérifiant la célèbre carte de la « Planetary Society » qui présente, à l’échelle, tous les astéroïdes et de toutes les comètes jusqu’ici étudiés par un vaisseau spatial et de l’astéroïde Didymos plus grand formerait un point modeste, avec son plus petit satellite ayant du mal à créer un seul pixel.

Didymos lui-même n’a que 780 m de diamètre – plus petit que n’importe quel astéroïde visité par une sonde, autre que les tas de gravats d’Itokawa de 350 m de diamètre visités par le premier vaisseau spatial japonais Hayabusa, et mis à part l’astéroïde Bennu, de 500 m de diamètre, autour duquel la mission Osiris-REx de la NASA est actuellement orbite. Didymoon, le satellite en orbite de Didymos, est le plus petit de tous les astéroïdes programmés pour une inspection robotique, avec seulement 160 m de large.

« La taille minuscule de Didymoon devient vraiment évidente lorsque vous regardez d’autres astéroïdes », commente Patrick Michel, scientifique principal chez Hera, directeur de la recherche du CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, en France. Patrick est également co-chercheur et scientifique interdisciplinaire pour la mission japonaise Hayabusa2 sur l’astéroïde Ryugu, qui mesure environ 1 km de diamètre : « Les images de Hayabusa2 montrent un gros rocher près du pôle nord de Ryugu – et ce simple rocher est à peu près de la même taille que Didymoon dans son intégralité ».

 

Premier test de défense planétaire de l’humanité

Sa taille réduite a été la raison pour laquelle Didymoon a été choisi pour une première expérimentation de défense planétaire. En 2022, le satellite DART de la NASA s’écrasera sur Didymoon pour tenter de modifier son orbite autour de son jumeau plus grand, afin de tester la faisabilité de la déviation des astéroïdes.

L’asteroide Ryugu avec son rocher situé au nord

 « Ce n’est pas le premier impact d’un vaisseau spatial sur un corps planétaire », ajoute Patrick. « Deep Impact de la NASA s’est écrasé sur la comète Tempel 1 en 2005, mais il ne s’agissait pas d’essayer de la détourner, mais bien d’exposer des matériaux souterrains, les 6 km le diamètre du corps étaient beaucoup trop grands. Mais Didymoon est suffisamment petit et sur une orbite de 12 heures autour de son parent pour que sa période orbitale puisse effectivement être déplacée de manière mesurable ».Après l’impact, Hera effectuera des observations sur les astéroïdes Didymos en 2026 afin de recueillir des informations essentielles, qui ne seraient pas disponibles à partir d’observations terrestres, notamment la masse de Didymoon, ses propriétés de surface et la forme du cratère de DART.

« Cela nous donnera une bonne estimation du transfert de moment d’inertie dû à l’impact, et donc de son efficacité en tant que technique de déviation », explique Michael Küppers, scientifique du projet Hera de l’ESA. « Ce sont des paramètres fondamentaux pour permettre la validation des modèles numériques d’impact nécessaires à la conception de futures missions de déviation. Nous comprendrons mieux si cette technique peut être utilisée même pour de plus gros astéroïdes, ce qui nous donnerait la certitude que nous pourrions protéger notre planète si nécessaire ».

Didymoon est très approprié pour de tels tests car il fait partie de la classe d’astéroïdes proches de la Terre présentant le plus de risques en raison de sa taille : des corps plus grands peuvent être facilement repérés, les corps plus petits brûlent ou causent des dégâts limités, tandis qu’un impacteur de la taille de Didymoon pourrait être dévastateur pour une région entière de notre planète.

La sonde Deep Impact de la NASA percutant une comète

 

Questions sur la faible gravité

Le système Didymos est également intéressant et apporte un bonus à la science, car il offre un aperçu de la formation des objets binaires, ce qui représente environ 15% des astéroïdes connus.

« Didymos tourne très vite, tournant sur lui-même toutes les deux heures », explique Patrick. « Autour de son équateur, sa force d’attraction gravitationnelle pourrait être dépassée par la force centrifuge, ce qui pourrait entraîner une remontée de matière à partir de la surface – ce qui est la principale théorie de l’origine de Didymoon. Donc atterrir à l’équateur serait impossible ; vous auriez plutôt besoin de vous poser près de ses pôles. La petite taille de Didymoon signifie que nous en savons peu sur le sujet, mais nous supposons qu’elle serait verrouillée en rotation autour de son parent comme la Lune avec la Terre, ce qui impliquerait une rotation plus lente, égale à sa période orbitale. Le plan est d’y faire atterrir au moins un CubeSat (objet de petite taille), mais il faudra pour cela une navigation précise pour réussir. L’astéroïde aura une gravité d’environ un millionième de celle de la Terre, avec une vitesse de libération estimée à seulement 6 cm par seconde. L’un des dangers serait de rebondir vers l’espace ».

Le profil de la mission DART

Patrick suggère que les objets de type « Didymoon » pourraient également s’avérer optimaux pour une exploitation minière planifiée d’astéroïdes : les corps plus grands sont comparativement plus rares, tandis les plus petits sont plus enclins à avoir une rotation rapide, provoquée par le réchauffement progressif dû à la lumière du Soleil.

Hera est actuellement à l’étude et doit être présenté pour approbation par la réunion des ministres européens de l’espace du Conseil Space19+ de l’ESA. Son lancement est prévu pour 2023.

Tailles d’astéroïdes comparés à Didymoon

Hera serait la prochaine mission de l’ESA auprès d’un petit corps après le chasseur de comètes Rosetta, bénéficiant de l’expertise acquise au cours de cette mission de 12 ans. La planification à long terme est cruciale pour la réalisation des missions futures et pour garantir le développement continu de technologies innovantes, inspirant les nouvelles générations de scientifiques et d’ingénieurs européens.

Ci-dessous, une courte video (2 mn 48s – en anglais)

Hera est la contribution européenne à la mission AIDA d’un double vaisseau spatial ESA-NASA, destinée à vérifier si une technique de déviation cinétique peut être utilisée pour déplacer l’orbite d’un astéroïde. Le but de la mission est un système à double astéroïde, appelé Didymos, qui s’approchera à environ 11 millions de km de la Terre en 2022. Le corps principal de 800 m de diamètre est orbité par une lune de 170 m de diamètre, appelée officieusement « Didymoon ».

En 2022, la sonde DART de la NASA effectuera d’abord un impact cinétique sur le plus petit des deux corps. Plus tard, Hera effectuera un suivi avec une étude post-impact détaillée qui transformera cette expérience à taille réelle en une technique de défense planétaire bien comprise et efficace et reproductible.

Hera rassemblera également des données scientifiques cruciales sur l’ensemble des astéroïdes en étudiant avec soin les propriétés extérieures et intérieures des deux corps du système. Le satellite hébergera également deux satellites « Cubesat6 » qui seront déployés près de Didymos pour effectuer, pour la première fois, des mesures multipoints dans une configuration « mère-fille ». Un nouveau lien inter-satellite sera utilisé pour établir un réseau de communication flexible prenant en charge les opérations de proximité dans des conditions de très faible gravité, une étape cruciale pour les futures activités d’exploration autour de petits corps.

En 2018, Hera, une nouvelle optimisation de la mission « Asteroid Impact » précédemment proposée par l’ESA, était en phase B1 de développement, en vue de la préparation du Conseil des ministres de l’Agence au niveau européen à la fin de 2019.

Traduction : Olivier Sabbagh

 

 

Complément d’information pour bien comprendre le processus de la formation des astéroïdes binaires :

Formation des astéroïdes binaires : une explication lumineuse
Futura Sciences – Publié le 07/10/2017 – Laurent Sacco

Parmi les géocroiseurs, comme dans la Ceinture principale entre Mars et Jupiter, 15 % des astéroïdes sont composés de deux corps en gravitation l’un autour de l’autre. Selon une série de simulations numériques effectuées par des chercheurs de l’Observatoire de la Côte d’Azur et de l’université de Maryland, ces couples se formeraient à cause d’un effet lié à la lumière du Soleil : l’effet Yorp. C’est peut-être de cette façon aussi qu’est née la comète binaire 288P qui vient de défrayer la chronique en cette fin septembre 2017.

 

Autre article publié le 16/07/2008 :

Le 28 août 1993, la sonde Galileo découvrit que 243 Ida, un astéroïde de la Ceinture principale de 56 km de long, observé une premier fois par l’astronome autrichien Johann Palisa le 29 septembre 1884, possédait une petite lune, nommée S/1993 (243) 1 Dactyl (voir la figure 3). Ce compagnon ne mesure que 1,4 km de diamètre. Ce premier cas d’astéroïdes binaire fut suivi de bien d’autres et, à chaque fois, la taille de l’un des membres de la binaire est largement plus importante que celle de l’autre.

Une explication avait été proposée il y a quelques années et elle vient d’acquérir beaucoup plus de poids grâce à des simulations numériques dont les résultats sont exposés dans un article de Nature. L’un des auteurs de l’article est un des chercheurs bien connu de l’Observatoire de la Côte d’Azur : Patrick Michel.

Aussi incroyable que cela paraisse, c’est la lumière du Soleil qui serait responsable de la formation des astéroïdes binaires. La lumière chauffe les corps qu’elle atteint, voilà une observation banale, mais, fait moins connu, elle exerce aussi une certaine pression, comme le ferait un flux de particules. En chauffant la surface d’un astéroïde, les différences de températures entre la partie éclairée et celle dans l’ombre induisent une différence entre les forces qu’exercent le flux de photons ré-émis par les différentes régions de la surface de l’astéroïde.

Au final, un couple apparaît capable d’entraîner la rotation d’un petit corps céleste sur lui-même. C’est le fameux effet Yorp (Yarkovsky-O’Keefe-Radzievskii-Paddack, du nom des scientifiques l’ayant décrit). Les astronomes l’ont identifié sur deux astéroïdes.

Dans le cadre de la théorie de l’accrétion, les planétésimaux du système solaire se forment par une sorte d’effet boule de neige et il est alors naturel de soupçonner que beaucoup d’astéroïdes sont en fait des agrégats de corps plus petits, faiblement solidarisés entre eux. Dans cette hypothèse, une rotation suffisamment rapide sur lui-même d’un astéroïde serait susceptible d’entraîner sa fragmentation et c’est donc cette idée que les chercheurs viennent de tester numériquement sur ordinateur. 

Figure 1. Simulation numérique du processus : initialement, l’astéroïde est un agrégat constitué de roches liées par la gravitation. Quand la rotation de l’astéroïde accélère par effet YORP, les roches situées à l’équateur peuvent s’échapper et celles des pôles descendre vers l’équateur ou même s’échapper. Parmi les roches qui s’échappent, sous certaines conditions, quelques-unes se réaccumulent autour de l’astéroïde et forment ainsi un satellite. © OCA/INSU

Des astéroïdes binaires poreux

Les simulations ont mise en évidence plusieurs phénomènes. Lorsqu’un agrégat modélisant un astéroïde, composé de sphères liées par gravité, se met à tourner de plus en plus vite, certaines d’entre elles descendent du pôle vers l’équateur et l’astéroïde perd de ces morceaux depuis son équateur, là où la force centrifuge est la plus élevée (voir la figure 1).

Les sphères qui s’échappent se rassemblent progressivement un peu plus loin, finissant par former une petite lune en orbite autour du corps parent. Celui-ci, du fait de l’aplatissement de ses pôles, contrebalancé par l’échappement de matière au niveau de l’équateur, aura une forme approximativement sphérique.

Dans la réalité, les blocs rocheux s’échappant, si ils sont constitués de matériaux suffisamment poreux, pourront se ré-assembler d’une manière stable. Les prédictions de ces simulations numériques aboutissent à un astéroïde double, composé d’un primaire assez sphérique, et d’un secondaire dont la taille par rapport à celle du primaire n’est pas arbitraire ni même la distance les séparant. Ce résultat est bien conforme aux observations, comme une comparaison avec l’image radar du binaire 1999 KW4 le montre clairement (voir la figure 2).

Figure 2. Image radar d’un astéroïde binaire réel 1999 KW4. La forme du primaire produit par la simulation est en parfait accord avec l’observation, ainsi que la taille du secondaire. À la fin de la simulation la séparation entre les deux objets sera similaire à celle de 1999KW4. © Insu-Ostro et al./Nasa

Si les chercheurs ont raison, il en découle que les objets binaires sont préférentiellement issus d’un agrégat et non d’un monolithe, ce qui est en accord avec l’idée que ces astéroïdes sont poreux.

Cette conclusion a évidemment des implications fortes dans la définition des stratégies de défense pour faire face au risque d’impact avec notre planète. Le fait que ces corps peuvent se fragmenter facilement et absorber une partie du choc différemment d’un corps compact impose en effet de sérieuses contraintes, qu’il s’agisse d’envoyer un projectile ou en fixant des moteurs.

Une autre conséquence de cette hypothèse est qu’elle implique la présence en surface de matière provenant initialement de l’intérieur de l’astéroïde et peu altérée par l’érosion spatiale. Les astéroïdes binaires seraient donc des cibles de choix pour récolter des échantillons comme se propose de le faire la mission Marco Polo de l’Esa.