anisotropie

Repenser la cosmologie :
L’expansion de l’Univers pourrait ne pas être uniforme

Les astronomes ont présumé depuis des dizaines d’années que l’Univers est en expansion au même taux et dans toutes les directions. Une nouvelle étude basée sur des données des observatoires XMM-Newton de l’ESA, Chandra de la NASA et ROSAT X-ray de l’Allemagne suggèrent que cette prémisse-clé pourraît être fausse.

Konstantinos Migkas, un docteur en astronomie et en astrophysique de l’Université de Bonn en Allemagne et son superviseur Thomas Reiprich ont initialement prévu de vérifier une nouvelle méthode qui permettrait aux astronomes de tester l’hypothèse de la prétendue isotropie. Celle-ci assume que l’Univers, malgré quelques différences locales, les mêmes propriétés dans toutes les directions à une large échelle.

Largement acceptée en tant que conséquence de la physique fondamentale bien établie, l’hypothèse a été validée par des observations du fonds diffus cosmologique. Un rémanent direct du Big Bang, le fonds diffus cosmologique, FDC, (ou CMB [Cosmic Microwave Background]) reflète l’état de l’Univers tel qu’il était dans son enfance seulement 380.000 ans après le Big Bang. La distribution uniforme du FDC dans le ciel suggère que dans ces premiers jours, l’Univers a dû être en expansion rapide à la même vitesse et dans toutes les directions. Toutefois, dans l’Univers d’aujourd’hui, ceci pourrait ne plus être vrai.

Cette animation commence avec le ciel vu par le satellite Gaia de l’ESA, qui cartographie plus d’un milliard d’étoiles dans notre propre galaxie, la Voie Lactée. Le ciel est montré dans le système de coordonnées galactiques, avec le centre de la Voie Lactée au milieu de la carte et le plan de la galaxie, où la plupart des étoiles résident, est orienté horizontalement sur la carte.

Plus loin, l’animation montre des centaines d’amas de galaxies, qui sont les plus grandes structures de l’Univers, liés ensemble par la gravité, comprenant chacun des centaines de galaxies et d’encore plus grands amas de gaz chauds et de matière noire invisible. L’amas de galaxies utilisé dans cette étude a été sélectionné pour éviter d’être trop près du plan galactique, où la grande densité de gaz et d’étoiles au premier plan aurait bloqué la vue des amas en arrière-plan.

Les astronomes ont mesuré les températures (en rayons-X) de centaines d’amas de galaxies dans le ciel et les ont comparées à la luminosité des amas. Tandis qu’ils s’attendaient à ce que les amas de même température et situés à des distances comparables apparaissent de même luminosité, ils ont remarqué que des amas tendaient être moins lumineux que prévu dans une direction que dans toutes les autres.

Enfin, l’animation montre une carte du taux estimé de l’expansion de l’Univers dans différentes directions dans le ciel, en se basant sur les données des amas de galaxies. Le taux de l’expansion de l’Univers, indiqué en termes de ce qu’on appelle la constante de Hubble, est montrée en différentes couleurs, avec des teintes violettes indiquant un taux plus faible et des teintes orange/jaunes indiquant un taux plus rapide.

La direction dans le ciel où les amas de galaxies apparaissent moins brillants est représentée par la région montrée en violet sur cette carte. Si cela est confirmé, le résultat pourrait mettre en doute l’hypothèse isotropique, qui affirme que l’Univers a les mêmes propriétés dans toutes les directions à large échelle. Cet effet inégal sur l’expansion cosmique pourrait être causée par la mystérieuse énergie sombre.

« Ensemble, avec des collègues des Universités de Bonn et Harvard, Nous avons regardé le comportement de plus de 800 amas de galaxies dans l’Univers présent », dit Konstantinos. « Si l’hypothèse isotropique était correcte, les propriétés des amas devraient être uniformes dans tout le ciel. Mais nous avons réellement vu des différences significatives ».

Les astronomes ont utilisé des mesures de températures en rayons-X des gaz extrêmement chauds qui envahissent ces amas et ont comparé les données avec la luminosité de ces amas dans le ciel. Les amas de même température et situés à des distances semblables devraient apparaître de même luminosité. Mais ce n’est pas ce que les astronomes ont observé.

« Nous avons vu que les amas, avec des températures similaires, semblaient être moins lumineux que ce que nous aurions attendu dans une direction du ciel, et plus lumineux que prévu dans une autre direction », dit Thomas. « La différence était très significative, de l’ordre de 30 %. Ces différences ne sont pas aléatoires mais ont un schéma clair qui dépend de la direction vers laquelle on observe le ciel ». Avant de contester le modèle cosmologique largement accepté qui fournit les bases pour établir les distances des amas de galaxies, Konstantinos et ses collègues ont d’abord envisagé d’autres explications possibles. Il y aurait peut-être des gaz ou des nuages de poussières non-détectés qui obscurciraient la vue, rendant ces amas d’une luminosité atténuée. Toutefois, les données ne corroborent pas ce scénario.

Dans certaines régions de l’espace la distribution des amas pourrait être affectée par des flux aléatoires, des mouvements à grande échelle de matière, causés par l’attraction gravitationnelle de structures extrêmement massives comme des grands groupes d’amas. Toutefois, cette hypothèse semble très improbable. Konstantinos ajoute que ces découvertes ont pris l’équipe par surprise.

On pense que les amas de galaxies sont distribués de manière à peu près égale dans l’ensemble du ciel.

« Si l’Univers est vraiment anisotropique, même si c’est seulement depuis les quelques derniers milliards d’années, cela provoquerait un changement de paradigme parce que la direction de chaque objet devrait être prise en compte quand on analyse ses propriétés », dit-il. « Par exemple, nous estimons aujourd’hui les distances où l’on situe des objets très lointains dans l’Univers en appliquant un ensemble de paramètres cosmologiques et d’équations. Nous croyons que ces paramètres sont les mêmes partout. Mais si nos conclusions sont justes, ce ne serait plus le cas et nous aurions à revoir toutes nos conclusions précédentes ».

« C’est un résultat immensément fascinant », commente Norbert Schartel, scientifique-projet de XMM-Newton à l’ESA. « Des études préalables avaient suggéré que l’Univers présent pourrait ne pas s’étendre de manière uniforme dans toutes les directions, mais ce résultat – la première fois qu’un tel test a été réalisé avec des amas de galaxies en rayons-X – a une beaucoup plus grande signification et révèle aussi un grand potentiel pour de futures recherches ».

Les scientifiques spéculent que ce possible effet irrégulier sur l’expansion cosmique pourrait être cause par l’énergie sombre, ce composant mystérieux du cosmos qui représenterait la majorité – environ 69% – de l’énergie totale de l’Univers. On connait, à ce jour, très peu de choses sur l’énergie sombre, si ce n’est qu’elle semble avoir accéléré l’expansion de l’Univers lors des derniers milliards d’années.

Le prochain télescope de l’ESA, Euclid, conçu pour imager des milliards de galaxies et scruter l’expansion du Cosmos, son accélération et la nature de l’énergie sombre, pourrait aider à résoudre ce mystère dans le futur.

« Ces découvertes sont vraiment intéressantes, mais l’échantillon présent dans l’étude est encore relativement petit pour en tirer de telles conclusions profondes » dit René Laureijs, scientifique-projet d’Euclid à l’ESA. « C‘est le mieux qu’on pouvait faire avec les données disponibles, mais si l’on doit réellement repenser le modèle cosmologique largement accepté, nous devons avoir plus de données ».

Et Euclid pourrait faire exactement cela. Ce télescope spatial, qui doit être lancé en 2022, pourrait non-seulement trouver des preuves que l’énergie sombre est réellement en train d’étirer l’Univers de façon inégale dans différentes directions, il permettra aussi aux scientifiques de rassembler plus de données sur les propriétés d’un très grand nombre d’amas de galaxies, ce qui pourrait confirmer ou infirmer les dernières découvertes récentes.

D’autres futures données viendront bientôt de l’instrument “eROSITA” en rayons-X, construit par l’Institut Max Planck pour la physique extra-terrestre. Cet instrument, à bord du satellite germano-russe Spektr-RG, récemment lancé, établira la première étude de tout le ciel dans les rayons-X d’énergie moyenne, en se concentrant sur les découvertes de dizaines de milliers d’amas de galaxies encore inconnus et leurs centres galactique actifs.

 

Document ESA du 9/04/2020
Traduction : Olivier Sabbagh