Voie Lactée : une mystérieuse onde géante aurait donné naissance à des essaims d’étoiles
Laurent Sacco – Futura Sciences – 10/01/2020
Les archéologues galactiques ont eu une surprise en dépouillant les données de Gaia. Ils ont découvert la plus vaste association de nébuleuses dans la Voie Lactée. Elle regroupe des pouponnières d’étoiles en formant une structure ondulée de 9.000 années-lumière qu’ils ont nommée la Vague de Radcliffe et dont on ne comprend pas pour le moment l’origine.
Lorsque Galilée a pointé sa lunette astronomique en direction de la Voie lactée il y a quatre siècles, pour la première fois sans doute dans l’histoire de l’Humanité, on découvrait que cette bande laiteuse et diffuse sur la voûte céleste était constituée d’une myriade d’étoiles. Aujourd’hui et depuis quelques années, les descendants intellectuels du fondateur de la physique moderne ont pointé un autre instrument en direction des soleils de notre Galaxie : Gaia, une mission dans l’espace de l’ESA.
Cet œil sur orbite permet de faire de l’astrométrie en 3D, c’est-à-dire de mesurer précisément les positions et les vitesses des étoiles dans la Voie lactée. Les astronomes savent comment lire dans ces mesures l’histoire passée de notre Galaxie et ils se sont donc transformés en archéologues galactiques. Tout comme les archéologues terrestres peuvent tirer des informations sur les civilisations passées en étudiant les structures architecturales qu’elles ont laissées et leur composition, leurs collègues astronomes peuvent obtenir de précieuses informations en étudiant des rassemblements d’étoiles et leur composition chimique dans la Voie Lactée.
Le plus grand assemblage de nébuleuses de la Voie lactée
L’analyse des dernières données du satellite de l’ESA les ont stupéfaits. Les chercheurs annoncent en effet dans un article publié dans la revue Nature la découverte de la plus grande structure composée de grands nuages de gaz et de poussières en interaction gravitationnelle connue à ce jour dans la Galaxie : des centaines de ces nébuleuses rassemblant des pouponnières d’étoiles dans une sorte de ruban ondulant sur 9.000 années-lumière, large d’environ 400 années-lumière et passant à seulement 500 années-lumière du Soleil. Cette structure semblant se présenter comme une onde qui s’est propagée (ce dernier point reste à prouver) dans la matière galactique en créant au passage de nouvelles étoiles a été nommée la « Vague de Radcliffe » (Radcliffe Wave en anglais, comme le nom du site dédié à son étude) par les chercheurs du Radcliffe Institute for Advanced Study de Harvard impliqués dans sa découverte avec Gaia.
Un peu comme dans le célèbre documentaire Les puissances de 10, cette vidéo nous fait décoller de la surface de la Terre pour quitter ensuite le disque de notre Galaxie spirale, la Voie Lactée. On peut voir alors au-dessus du bras spiral d’Orion un ensemble de pouponnières d’étoiles en rouge formant la mystérieuse Vague de Radcliffe. © Alyssa Goodman, Harvard University
« Nous ne savons pas ce qui cause cette forme » a avoué l’astrophysicien João Alves, de l’université de Vienne, qui a dirigé la rédaction de l’article aujourd’hui publié, et même précisé dans un communiqué qu’il pourrait s’agir, dans le fluide d’étoiles composant la Voie Lactée, de la manifestation de l’équivalent de l’onde qui se forme lorsque l’on jette une pierre dans un étang, c’est-à-dire « comme si quelque chose d’extraordinairement massif avait atterri dans notre Galaxie », ajoute le chercheur.
La Vague de Radcliffe s’élève à 500 années-lumière au-dessus du disque galactique et elle contient environ trois millions de fois la masse du Soleil. Comme l’explique également Catherine Zucker, l’une des membres de l’équipe d’astronomes qui l’ont découverte : « Nous n’avons pas de précédent pour ce type de structure dans la Galaxie » et la chercheuse de Harvard ajoute qu’aucune structure ondulatoire comme celle-ci « n’a encore été vue dans des simulations de galaxies comme notre Voie lactée. » Ce qui explique la perplexité de João Alves et ses collègues. Toutefois, les astronomes pensent que cette structure est associée au bras d’Orion, l’un des bras spiraux de la Voie Lactée.
La ceinture de Gould, une part de la Vague de Radcliffe
L’astronome Alyssa Goodman, de la Smithsonian Institution explique quant à elle : « Nous avons été complètement choqués lorsque nous avons réalisé pour la première fois à quel point la Vague de Radcliffe était longue et droite, en la regardant d’en haut en 3D – mais à quel point elle était sinusoïdale lorsqu’elle était vue de la Terre. L’existence même de la Vague nous oblige à repenser notre compréhension de la structure 3D de la Voie Lactée. »
La découverte de la Vague de Radcliffe a été faite par sérendipité, c’est-à-dire que les astronomes cherchaient à comprendre tout autre chose, en l’occurrence l’origine et la structure de ce qui est appelée la ceinture de Gould (en l’honneur de son découvreur en 1879, l’astronome Benjamin Gould), un arc d’étoiles brillantes qui semblait former une partie d’un anneau d’environ 3.000 années-lumière de diamètre et incliné d’environ 16 à 20 degrés par rapport au plan galactique.
On n’avait pas d’explication pour cette ceinture qui pouvait être aussi et toujours l’équivalent du front d’onde d’une pierre jetée dans un étang. Dans le cas présent, on pouvait imaginer le passage d’une grosse concentration de matière noire à travers le disque galactique, à moins que ce ne soit le résultat de l’explosion d’une puissante supernova dont l’onde de choc aurait entraîné sur son passage l’effondrement des nuages moléculaires par compression pour donner les pouponnières d’étoiles aujourd’hui observées.
Mais avec la perspective actuelle, la ceinture de Gould est une partie de la Vague de Radcliffe.
D’autres « Vagues de Radcliffe » dans les autres galaxies ?
Les astronomes cherchent à savoir aussi si la structure ondulatoire découverte est statique ou si elle correspond vraiment à la propagation d’une onde. Ils se demandent aussi si elle ne pourrait pas résulter du passage d’une galaxie naine à travers le disque de la Voie Lactée ou simplement également un nuage de gaz à grande vitesse, peut-être comme ceux que l’on peut envisager dans le modèle de la croissance des galaxies faisant intervenir des courants froids de matière dont avait parlé à Futura le cosmologiste Romain Teyssier. Les astronomes sont en train de tester ces hypothèses avec des simulations numériques faisant entrer en collision la Voie lactée avec différents objets.
Ce qui semble certain, c’est qu’il y a 13 millions d’années, les mouvements du Soleil autour du centre de la Voie lactée l’ont fait passer à l’intérieur de la Vague de Radcliffe et que cela se reproduira dans 13 millions d’années. La vue devait alors être spectaculaire à la nuit tombante et il se peut que l’on trouve physiquement des traces de ce passage dans les archives de notre Planète, sous la forme d’excès de certains isotopes en liaison avec les supernovæ des pouponnières d’étoiles de la Vague de Radcliffe.
D’autres structures similaires à la Vague de Radcliffe devraient exister dans notre Galaxie et les autres galaxies, mais en quel nombre ? Comment se forment-elles vraiment et s’agit-il bien d’ondes qui se propagent ? Autant de questions dont les réponses pourraient être très éclairantes sur l’Histoire et l’évolution de la Voie lactée où l’Humanité est née.
Ce qu’il faut retenir :
- La mission Gaia de l’ESA permet de mesurer très précisément les positions et les vitesses de très nombreuses étoiles dans la Voie lactée, ce qui permet de reconstituer sa structure en 3D et donne des indications sur son histoire. Les astronomes peuvent alors se transformer en archéologues galactiques.
- Récemment, ils ont eu une surprise en dépouillant les données de Gaia. Ils ont découvert la plus vaste association de nébuleuses dans la Voie Lactée. Elle regroupe des pouponnières d’étoiles en formant une structure ondulée de 9.000 années-lumière qu’ils ont nommée la Vague de Radcliffe.
- On ne comprend pas pour le moment l’origine et cela nous force à repenser la structure et l’histoire de notre Galaxie.