SN 1054
(Supernova 1054) ou M1 ou Nébuleuse du Crabe
Cette image, une des plus grandes de la Nébuleuse du Crabe jamais prises par le télescope spatial Hubble de la NASA, est en réalité une mosaïque de plusieurs clichés. La nébuleuse s’étend sur une distance de six années-lumière et est composée des restes de l’explosion d’une supernova. Les astronomes chinois et japonais ont observé cette violente explosion il y a environ un millénaire, en 1054. Les filaments orange sont les restes en lambeaux de l’étoile et se composent principalement d’hydrogène. L’étoile à neutrons qui tourne rapidement sur elle-même, intégrée dans le centre de la nébuleuse, est la dynamo alimentant l’intérieur de la nébuleuse de l’étrange lueur bleuâtre. La lumière bleue provient des électrons tourbillonnant presque à la vitesse de la lumière autour de lignes du champ magnétique de l’étoile à neutrons. L’étoile à neutrons, comme un phare, émet des faisceaux de rayonnements jumeaux qui semblent battre 30 fois par seconde en raison de la rotation de l’étoile à neutrons. Une étoile à neutrons est le noyau écrasé ultra-dense de l’étoile qui a explosé. L’image est formée de l’assemblage de 24 prises individuelles de la Wide Field and Planetary Camera 2 datant d’octobre 1999, janvier 2000 et décembre 2000. Les couleurs de l’image indiquent les différents éléments qui ont été expulsé lors de l’explosion. Le bleu dans les filaments de la partie extérieure de la nébuleuse représente l’oxygène neutre, le vert est le souffre ionisé I, et le rouge indique l’oxygène ionisé II.
La supernova de l’an 1054, ou, selon sa désignation normalisée, SN 1054, est une supernova dont l’explosion a été observée à partir du mois de juillet 1054, pendant une durée d’environ deux ans. De nombreux documents du monde chinois relatent son observation, qui est également attestée par un document en provenance du monde arabe. En revanche, l’hypothèse formulée plus récemment de la connaissance et de la transcription de cet événement par des Européens et des Amérindiens de cette époque reste très incertaine.
Le rémanent de supernova de SN 1054, constitué des débris éjectés lors de l’explosion, est appelé nébuleuse du Crabe. Elle est située dans une direction proche de celle de l’étoile ζ Tauri. Elle héberge en son sein le résidu compact de l’étoile qui a explosé, un pulsar, appelé pulsar du Crabe (ou PSR B0531+21). Cette nébuleuse et le pulsar qu’elle contient forment une des structures astronomiques les plus étudiées en dehors du Système solaire, entre autres parce qu’il s’agit d’une des rares supernovas galactiques dont la date d’explosion est parfaitement connue, et que ces deux objets sont parmi les plus lumineux de leurs catégories respectives. Pour ces raisons, et du fait du rôle important qu’elle a plusieurs fois occupé à l’époque moderne, SN 1054 est la supernova historique la plus célèbre de l’histoire de l’astronomie.
La nébuleuse du Crabe est facilement observable par les astronomes amateurs grâce à sa forte luminosité, et fut d’ailleurs cataloguée très tôt par les astronomes professionnels, bien avant que sa nature réelle soit comprise et identifiée. Lorsque l’astronome français Charles Messier guetta le retour de la comète de Halley en 1758, il confondit la nébuleuse du Crabe, dont il ignorait alors l’existence, avec la comète ; c’est à la suite de cette erreur qu’il entreprit de réaliser son catalogue d’objets nébuleux non cométaires, le catalogue de Messier, afin d’éviter de telles méprises à l’avenir. La nébuleuse figure ainsi à la première place du catalogue, sous la référence M1.
Recueil des témoignages historiques
SN 1054 fait partie des huit supernovas galactiques dont des témoignages écrits décrivant l’explosion sont parvenus jusqu’à nous et ont pu être identifiés comme tels. Au XIXe siècle, les astronomes modernes commencent à s’intéresser à ces témoignages historiques qu’ils recensent, compilent et étudient, dans le cadre d’abord de leurs recherches sur les novæ et les comètes récentes, puis plus tard, sur les supernovæ.
Les premiers à avoir tenté une compilation systématique de témoignages d’Extrême-Orient sont les membres de la famille Biot : le sinologue Édouard Biot traduisait à son père, l’astronome Jean-Baptiste Biot, des passages du traité d’astronomie de l’encyclopédie chinoise en 348 volumes, le Wenxian Tongkao.
Près de quatre-vingts ans plus tard, en 1921, Knut Lundmark entreprend une tâche similaire en se fondant sur un plus grand nombre de sources2. En 1942, Jan Oort, convaincu que la nébuleuse du Crabe est l’étoile invitée de 1054 décrite par les Chinois (voir section L’identification moderne de la supernova ci-dessous), demande à un compatriote sinologue, Jan Julius Lodewijk Duyvendak, de l’aider à compiler de nouveaux témoignages relatifs à l’observation de cet événement.
Documents authentifiés
Chine
Les astres apparaissant temporairement dans le ciel étaient appelés de façon générique « étoiles invitées » (客星) par les astronomes chinois. L’étoile invitée de 1054 est apparue pendant le règne de l’empereur Song Renzong de la dynastie Song (960-1279). Selon la coutume, le règne de l’empereur était divisé entre plusieurs « ères », et celle couvrant l’année 1054 est l’ère dite Zhihe (1054-1056). C’est par le terme de « première année de l’ère Zhihe » qu’est systématiquement mentionnée dans les documents chinois l’année correspondant à l’an 1054 du calendrier occidental. L’ère suivante, dénommée Jiayou, a commencé en 1056.
Six témoignages en provenance de Chine relatent l’observation du phénomène. Comme la quasi-totalité des témoignages relatifs aux étoiles invitées, aucun d’eux n’est de première main : le plus ancien remonte à environ un siècle après l’apparition de l’astre. Certains de ces témoignages sont cependant remarquablement conservés, et permettent de reconstituer les informations essentielles relatives à l’observation de l’explosion.
Wenxian Tongkao
Le Wenxian Tongkao représente la première source extrême-orientale connue des astronomes occidentaux. C’est celle que traduisit Édouard Biot en 1843. Cette source, compilée par Ma Duanlin vers 1280, est relativement brève. Le texte indique : « Ère Zhihe du règne, première année, cinquième mois lunaire, jour jichou. Une étoile invitée est apparue au sud-est de Tianguan, peut-être à plusieurs pouces de distance. Après plus d’une année, elle s’est dispersée et a disparu ».
Xu Zizhi Tongjian Changbian
Le Xu Zizhi Tongjian Changbian, ouvrage portant sur la période 960-1126 et réalisé en une quarantaine d’années par Li Tao (1114-1183), contient le plus ancien témoignage chinois relatif à l’observation de l’astre. Il a été redécouvert en 1970 par le spécialiste de la civilisation chinoise Ho Peng Yoke et deux collaborateurs. Il est relativement peu précis dans le cas de l’explosion de SN 1054 ; En voici une traduction approximative : « Première année de l’ère Zhihe [de l’empereur Renzong], cinquième mois lunaire, jour yichou. Une étoile invitée est apparue au sud-est de Tianguan, peut-être à plusieurs pouces de distance [de cette étoile] ».
Song Huiyao
Le Song Huiyao (littéralement « Documents importants de la dynastie Song ») couvre la période 960-1220. Cet ouvrage n’a jamais été terminé mais fut publié en l’état en 1809 sous le nom de Song Huiyao Jigao (littéralement « Ébauche de compilation de documents importants de la dynastie Song »). Ce document relate l’observation de l’étoile invitée, en se focalisant sur les aspects astrologiques, mais donne plusieurs informations importantes relatives à la durée de visibilité de l’astre, de jour comme de nuit. « Ère Zhihe, première année, septième mois lunaire, 22e jour.’ […] Yang Weide déclara : « J’observe humblement qu’une étoile invitée est apparue ; au-dessus de l’étoile il y a une faible lueur de couleur jaune. Si l’on examine les divinations concernant l’Empereur, l’interprétation [de la présence de cette étoile invitée] est la suivante : le fait que l’étoile n’ait pas envahi Bi et que sa brillance soit importante signifie qu’elle représente une personne de grande valeur. Je demande […] que ceci [cette interprétation] soit communiqué au Bureau d’Historiographie. » Tous les officiels congratulèrent l’Empereur, qui ordonna que ses félicitations soient [en retour] transmises au Bureau d’Historiographie. »
Première année de l’ère Jiayou, troisième mois lunaire, le directeur du Bureau Astronomique a dit : « L’étoile invitée a disparu, ce qui signifie le départ de l’hôte [qu’elle représente] ». Auparavant, pendant la première année de l’ère Zhihe, lors du cinquième mois lunaire, elle était apparue à l’aube, dans la direction de l’est, montant la garde de Tianguan. Elle a été vue en plein jour, comme Vénus. Elle avait des rayons dans tous les côtés, et sa couleur était blanc rougeâtre. En tout, elle fut vue pendant 23 jours ».
Song Shi
Le Song Shi représente les annales officielles de la dynastie Song. Le chapitre 12 (« Annales ») évoque l’étoile invitée, non pas lors de son apparition, mais au moment de sa disparition. L’entrée correspondante, en date du 6 avril 1056 indique : « Ère Jiayou, première année, troisième mois lunaire, jour xinwei, le Directeur du Bureau Astronomique a rapporté que depuis le cinquième mois lunaire de la première année de l’ère Zhihe, une étoile invitée était apparue à l’aube, dans la direction de l’est, montant la garde auprès de Tianguan. Désormais elle a disparu ».
Dans le chapitre 56 (« Traité astronomique ») du même document, l’étoile invitée est à nouveau évoquée dans une partie consacrée à ce type de phénomènes, se focalisant cette fois sur son apparition, et ce dans des termes très proches de ceux du Wenxian Tongkao : « Ère Zhihe du règne, première année, cinquième mois lunaire, jour jichou. Une étoile invitée est apparue au sud-est de Tianguan, peut-être à plusieurs pouces de distance. Après une année et plus, elle a graduellement disparu. »
Qidan Guozhi
Il existe un témoignage en provenance du royaume Khitan (nord de l’actuelle Chine et Mongolie), où régnait alors la dynastie Liao (907-1125). L’ouvrage en question, le Qidan Guozhi, a été compilé par Ye Longli en 1247. Il comporte diverses notes astronomiques, dont un certain nombre sont manifestement copiées du Song Shi. Celle apparemment relative à l’étoile de 1054 semble cependant inédite : « Ère Chongxi du règne [du roi Xingzong], vingt-troisième année, huitième mois lunaire, le maître du royaume est mort. Auparavant avait eu lieu une éclipse de Soleil à midi, et une étoile invitée était apparue à Mao. Le Grand Officier du Bureau d’Historiographie, Liu Yishou avait dit : « Ce sont des présages annonçant la mort du roi. » Cette prédiction s’est en effet réalisée ».
Interprétation des témoignages chinois
Trois de ces témoignages émanent manifestement de la même source : ce sont ceux du Wenxian Tongkao, du Xu Zizhi Tongjian Changbian, et du chapitre 56 du Songshi, qui comportent tous l’évaluation de la distance angulaire de l’étoile à Tianguan selon la formule « peut-être à plusieurs pouces de distance ». Ces trois documents présentent cependant un désaccord apparent sur la date d’apparition de l’étoile. Deux mentionnent le jour jichou, et le troisième, le Xu Zizhi Tongjian Changbian, le jour yichou. Ces termes se réfèrent au cycle sexagésimal chinois, correspondant respectivement aux numéros 26 et 2 du cycle, ce qui correspond, dans le contexte où ils sont cités, respectivement aux dates du 4 juillet et du 10 juin. Cette dernière date est considérée comme erronée pour plusieurs raisons. D’une part, les termes yichou et jichou diffèrent l’un de l’autre par un seul caractère, le premier, et ces caractères sont très semblables, yichou et jichou s’écrivant respectivement 乙丑 et 己丑, aussi une erreur typographique lors de la retranscription semble-t-elle envisageable. Par ailleurs, les entrées du Xu Zizhi Tongjian Changbian suivent un ordre chronologique très strict, et les précédentes entrées, se référant elles aussi au cycle sexagésimal chinois, concernent les jours yiyou (22) et bingxu (24), alors que les entrées ultérieures concernent les jours yiwei (32, faisant partie du sixième mois lunaire), bingshen (33), puis renyin (39). Dans ce contexte, il apparaît largement plus vraisemblable que la mention de yichou résulte d’une erreur de retranscription plutôt que d’un mauvais placement chronologique de l’entrée.
La durée de visibilité est citée explicitement dans le chapitre 12 du Songshi, et de façon à peine moins précise, dans le Song Huiyao, la dernière visibilité correspondant à la date du 6 avril 1056, soit une période de visibilité très longue de 642 jours. Cette durée est corroborée par le Wenxian Tongkao et le chapitre 56 du Songshi. Le Song Huiyao évoque, lui, une durée de visibilité de 23 jours seulement, mais après avoir mentionné la visibilité en plein jour de l’astre. Cette période de 23 jours s’applique selon toute vraisemblance à la visibilité en plein jour de l’astre.
Le témoignage du Qidan Guozhi fait allusion à des événements astronomiques notables ayant précédé la mort du roi Xingzong. Les différents documents historiques permettent de dater la mort de l’empereur Xingzong au 28 août 1055, lors du huitième mois lunaire de la vingt-quatrième (et non vingt-troisième) année de son règne. Les dates des deux événements astronomiques mentionnés (l’éclipse et l’apparition de l’étoile invitée) ne sont pas spécifiées, mais précèdent selon toute vraisemblance de peu cette annonce de décès (de deux ou trois ans maximum). Deux éclipses de Soleil précédant de peu cette date furent visibles dans le royaume Khitan, le 13 novembre 1053 et le 10 mai 1054. De celles-ci, une seule s’est produite vers midi, celle du 13 novembre, aussi semble-t-il vraisemblable que ce soit celle-là que le document mentionne. Quant à l’étoile invitée, seule sa localisation, très approximative, est donnée, correspondant à la loge lunaire Mao. Cette loge est située légèrement à l’est de l’endroit où apparut l’étoile telle qu’évoquée par les autres témoignages (voir section Localisation générale de l’événement ci-après). Comme aucun autre événement astronomique notable connu n’est survenu dans cette région du ciel durant les deux années qui précédèrent la mort de Xingzong, il semble vraisemblable que le texte fasse effectivement allusion à l’étoile de 1054.
La localisation de l’étoile invitée peut en principe être déduite de la mention « au sud-est de Tianguan, peut-être à plusieurs pouces de distance », qui a cependant longtemps laissé perplexe les astronomes modernes, étant donné que si Tianguan est à peu près unanimement considéré comme correspondant à l’étoile ζ Tauri, la nébuleuse du Crabe, manifestement issue d’une explosion stellaire vieille d’environ 1 000 ans, et donc candidat naturel pour cette étoile invitée, n’est pas située au sud-est, mais au nord-ouest de cette étoile (voir section Localisation générale de l’événement plus bas).
Japon
Trois textes en provenance du Japon mentionnent l’étoile invitée. Le plus détaillé est celui du Meigetsuki. L’un des deux autres, moins précis, pourrait en être tiré, ou en tout cas partager avec lui une origine commune. Le dernier témoignage, extrêmement bref, ne donne que très peu d’informations.
Meigetsuki
Le poète et courtisan japonais Fujiwara no Teika (1162-1241) mentionne l’étoile invitée de 1054 dans son célèbre journal intime, le Meigetsuki. Son intérêt semble-t-il fortuit pour les étoiles invitées fut motivé par l’observation d’une comète en décembre 1230, qui l’incita à rechercher des témoignages plus anciens d’étoiles invitées, parmi lesquels SN 1054 (ainsi que SN 1006 et SN 1181, les deux autres supernovae historiques du début du second millénaire). L’entrée relative à SN 1054 peut se traduire ainsi : « Ère Tengi de l’empereur Go-Reizei, deuxième année, quatrième mois lunaire, après la période médiane de dix jours. À l’heure double chou, une étoile invitée est apparue dans les degrés des loges lunaires Zuixi et Shen. Elle a été vue dans la direction de l’est et a émergé à l’étoile Tianguan. Elle était aussi grosse que Jupiter ».
La source utilisée par Fujiwara no Teika n’est pas connue, mais il semble s’être fondé, pour tous les événements astronomiques qu’il a consignés, sur des documents d’origine japonaise. La date qu’il donne correspond a priori à la troisième partie de dix jours du mois lunaire mentionné, ce qui correspond à la période du 30 mai au 8 juin 1054 du calendrier julien, soit environ un mois plus tôt que les documents chinois. Cette différence est généralement attribuée à une erreur sur le mois lunaire (quatrième en lieu et place du cinquième). La localisation de l’étoile invitée, manifestement à cheval sur les loges lunaires Shen et Zuixi, correspond à ce qui serait attendu pour un astre apparaissant à proximité immédiate de Tianguan.
Ichidai Yoki
Un autre témoignage existe, tiré du Ichidai Yoki, document anonyme probablement compilé dans le courant du XIVe siècle. Il décrit l’étoile en des termes très similaires à ceux du Meigetsuki, en omettant plusieurs détails (heure d’apparition, et partie possiblement erronée du mois lunaire). La comparaison à Jupiter y est par contre présente, tout comme le mois possiblement incorrect. De plus, le court texte comporte plusieurs erreurs typographiques, notamment sur le second caractère de Tianguan. Tout porte à croire que ce témoignage est issu de la même source que celui du Meigetsuki, sur lequel il pourrait d’ailleurs avoir été copié.
Dainihonshi
Enfin, un texte encore plus court est présent dans le traité astronomique du Dainihonshi (litt. « Histoire du Grand Japon »). Ce texte peut se traduire en : « Ère Tengi de l’Empereur Go-Reizei, deuxième année, quatrième mois lunaire. Une étoile invitée a été vue ». Cette brièveté contraste avec les descriptions plus détaillées des étoiles invitées (en fait des supernovas) de 1006 et 1181. La raison du peu de détail de l’entrée de 1054 n’est pas connue. Tout comme les deux autres mentions japonaises de l’étoile, celle-ci cite le quatrième mois et non le cinquième.
Interprétation des témoignages japonais
Les trois documents japonais s’accordent sur le mois d’observation, correspondant au quatrième mois lunaire, soit un mois plus tôt que les textes chinois. Quelle que soit la date exacte au cours de ce mois, il semble cependant y avoir une contradiction entre cette période et l’observation de l’étoile invitée : c’est au cours de cette période qu’a eu lieu la conjonction entre l’astre et le Soleil, rendant son observation de nuit (comme de jour, d’ailleurs) impossible. Cette incompatibilité de date est, du reste, renforcée par un détail du Meigetsuki : la mention de l’heure double d’observation chou correspond à la période 1 h – 3 h en temps solaire, soit très longtemps avant le lever du Soleil, ce qui serait impossible si l’étoile invitée était en conjonction avec le Soleil, car elle se lèverait alors très peu de temps avant ce dernier. L’ensemble des témoignages chinois et japonais peuvent par contre être réconciliés si l’on considère qu’il y a erreur sur le mois d’observation des documents japonais. Le fait que toutes les sources japonaises fassent la même erreur s’interprèterait alors par le fait qu’elles proviennent d’une source unique, ce qui semble assez manifeste pour les deux premières citées. Le doute sur le mois d’observation aurait pu être levé si avait figuré, en sus du mois d’observation, le jour déterminé par le cycle sexagésimal chinois, mais celui-ci n’est pas spécifié sur les documents japonais. À l’inverse, le jour du cycle des documents chinois est compatible avec le mois qu’ils donnent, renforçant l’idée que c’est le mois des documents japonais qui est erroné. Par ailleurs, l’étude des autres supernovæ médiévales (SN 1006 et SN 1181) révèle une grande proximité dans les dates de découverte de l’étoile invitée en Chine et au Japon, bien que se fondant sur des sources manifestement différentes. Considérer la mention du quatrième mois lunaire comme exacte reviendrait alors à imaginer que, pour cet événement-là, les Japonais aient largement devancé leurs homologues chinois, ce pour quoi il n’y a pas de raison apparente.
Les documents japonais ne spécifient pas la visibilité en plein jour de l’astre, mais comparent celui-ci à Jupiter, qui est visible en plein jour, et dont des rapports d’observations diurnes existent dans les documents astronomiques contemporains du monde chinois. La visibilité en plein jour annoncée dans les textes chinois se trouve renforcée, et est cohérente avec une durée de visibilité modérée, indiquant que l’astre n’a sans doute pas très longtemps eu un éclat suffisant pour être observable en plein jour, même s’il bénéficiait de conditions d’observations favorables (un astre visible au moment du lever du Soleil reste relativement aisé à repérer, sa position étant connue, à mesure que le fond du ciel devient de plus en plus lumineux).
Corée
Aucun témoignage d’observation de SN 1054 en provenance de Corée n’est parvenu jusqu’à nous. Ce fait a vraisemblablement pour origine l’absence complète de comptes-rendus astronomiques pour l’année 1054 dans les chroniques officielles relatant cette époque, le Koryo-sa. Il en est de même pour l’année 1055, alors que par contraste, les années 1052 et 1053 contiennent un nombre élevé d’entrées relatives à l’astronomie. Le Koryo-sa ayant été compilé en 1451, il apparait vraisemblable qu’à cette époque, les éventuels documents traitant d’événements astronomiques observés en 1054 avaient été perdus. Aucun autre document coréen en relation avec l’étoile invitée de 1054 n’a depuis été retrouvé.
Monde arabe
Par tradition, les astronomes du monde arabe s’intéressaient aux phénomènes cycliques et prévisibles plutôt qu’aux phénomènes inattendus de type « étoile invitée », subissant peut-être l’influence aristotélicienne qui affirmait l’immuabilité des cieux, les comètes et autres novas étant considérées comme des évènements atmosphériques plutôt qu’astronomiques. Ce fait pourrait expliquer le faible nombre de mentions d’« étoiles invitées », terme qui d’ailleurs ne possède pas d’équivalent en Europe médiévale ou dans le monde arabe. Si la supernova de 1006, notablement plus brillante, vit plusieurs chroniqueurs arabes la mentionner, il n’existe aucun témoignage arabe relatant l’observation de la discrète supernova de 1181. Celle de 1054, de luminosité intermédiaire, n’a pour l’heure vu qu’un seul témoignage exhumé. Ce témoignage, retrouvé en 19788, est celui d’un médecin chrétien nestorien, Ibn Butlan, retranscrit dans le Uyun al-Anba, ouvrage compilé par Ibn Abi Usaybi’a (1194-1270) vers le milieu du XIIIe siècle. Le passage en question est le suivant : « J’ai recopié ce qui suit d’un témoignage écrit de sa propre main [celle de Ibn Butlan]. Il raconte : « Une des célèbres épidémies de notre temps est celle qui s’est produite lorsqu’une étoile spectaculaire est apparue dans [le signe zodiacal des] Gémeaux, en l’an 446 [du calendrier musulman]. À l’automne de cette année-là, quatorze mille personnes furent enterrées à Constantinople. Par la suite, au milieu de l’été 447, la plupart des gens de Fostat [Le Caire] ainsi que tous les étrangers moururent ». Il [Ibn Butlan] continue : « Alors que cette étoile spectaculaire apparaissait dans le signe des Gémeaux […], elle provoqua le début de l’épidémie à Fostat, au moment où le Nil était bas, en 445 ».
Les trois années citées (445, 446, 447) correspondent respectivement aux époques 23 avril 1053-11 avril 1054, 12 avril 1054-1er avril 1055 et 2 avril 1055-20 mars 1056. Il y a une incohérence manifeste dans l’année d’apparition de l’astre, d’abord annoncée comme étant 446, puis 445. Ce problème est résolu par la lecture d’autres entrées de l’ouvrage, qui spécifient assez explicitement que le Nil était bas en 446. Cette année du calendrier musulman, s’étalant du 12 avril 1054 au 1er avril 1055, est compatible avec une apparition de l’astre en juillet 1054, tout comme sa localisation (certes assez vague), dans le signe astrologique des Gémeaux (qui, du fait de la précession des équinoxes, recouvre la partie orientale de la constellation du Taureau). La date de l’évènement au sein de l’année 446 est difficile à déterminer, mais la mention du niveau du Nil évoque la période qui précède sa crue annuelle, qui a lieu en été.
Témoignages inexploitables
Europe
À partir des années 1980, plusieurs documents européens anciens ont été proposés comme étant des témoignages de l’observation de cette supernova. La pertinence de ces documents a été critiquée, car la datation qu’ils proposent n’est pas conciliable avec celle des documents chinois, qu’ils précèdent de 2 à 3 mois, et sans mention d’observations ultérieures de la supernova. Ils sont également très imprécis et inexploitables d’un point de vue astronomique, même rassemblés. Ils seraient d’ailleurs impossibles à interpréter dans le sens d’une observation d’une supernova, si aucune information en provenance du monde chinois n’avait été conservée.
Ces tentatives d’identification entre un événement avéré et des témoignages très imprécis, ont vivement été critiquées par plusieurs auteurs, qui y voient de la part de ceux voulant promouvoir l’existence d’observations européennes de l’événement une certaine « anxiété à vouloir absolument que cet événement ait été noté par des Européens ». L’absence de témoignages provenant des chroniqueurs européens soulève depuis longtemps des interrogations. L’on sait en effet que la très spectaculaire supernova de l’an 1006 a été abondamment évoquée dans divers documents européens, bien qu’en des termes peu astronomiques. Parmi les explications proposées sur cette absence de SN 1054 dans les chroniques européennes, sa concomitance avec le Grand Schisme d’Orient est avancée. La date de l’excommunication du Patriarche de Constantinople Michel Ier Cérulaire (16 juillet) correspondrait en effet au moment où l’astre a atteint sa luminosité maximale et était visible en plein jour. Cette hypothèse n’est cependant pas vérifiable concrètement, et il est difficile d’envisager comment une censure concernant un événement a priori observable par tous aurait pu en faire disparaitre toute trace. Le fait est par contre que les documents européens du XIe siècle parvenus jusqu’à l’époque contemporaine ne sont pas le fait d’astronomes, mais de personnes qui malgré leur érudition ne possédaient que des connaissances astronomiques extrêmement limitées, comme en témoigne leur incapacité à reconnaitre les astres impliqués dans diverses conjonctions astronomiques (voir les exemples donnés ci-dessous).
La chronique de Jacobus Malvecius
La première suggestion d’un témoignage européen relatant l’observation de la supernova a été faite en 1980 peu avant sa mort par l’astronome italien Umberto Dall’Olmo (1925-1980). Dans une chronique compilée au XVe siècle par Jacobus Malvecius se trouve un bref passage rapportant une observation astronomique : « Et ces jours-là, une étoile immensément brillante est apparue dans le cercle de la Lune, vers le premier jour de sa séparation du Soleil ».
La date de ce passage n’est pas spécifiée, mais il y est fait allusion à un tremblement de terre s’étant produit à Brescia, à une date identifiée comme étant le 11 avril 1064. Dall’Olmo ne propose aucune explication de la discordance apparente de dix ans entre la supernova et le tremblement de terre, hormis l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’une erreur de transcription. Indépendamment de cela, en l’absence d’une date et d’une position précise, le phénomène mentionné reste très difficile à identifier, et pourrait tout autant s’apparenter à une conjonction entre la Lune et une planète (vraisemblablement Vénus ou Jupiter), ou une occultation d’une planète par la Lune.
Le Cronaca Rampona
Le témoignage jugé le plus sérieux par les tenants d’observations européennes de la supernova est issu d’une chronique médiévale de la région de Bologne, le Cronaca Rampona (rédigé au XVe siècle). Ce texte, porté à l’attention des astronomes dès 1972, fut interprété comme une possible observation de la supernova en 1981, puis en 1999. La partie mise en exergue de cette chronique indique : « En l’année du Christ Ml8, le Pape Étienne IX est monté sur le trône […] Également en cette année du Christ Ml8, Henri III régnait [ou « vivait »] depuis xl9 années. Il alla à Rome une première fois au mois de mai. À cette époque, la famine et la mort frappaient toute la Terre. Il résida dans la province de Tibur pendant trois jours au mois de juin […] À ce moment-là, une étoile très brillante entra dans le cercle [ou : le circuit] de la nouvelle Lune, à la treizième Kalende au début de la nuit ».
Sans même discuter la dernière partie, astronomique, du texte, les sceptiques font remarquer au moins deux incohérences dans celui-ci : l’accession à la papauté d’Étienne IX eut lieu en 1057 et non en 1058, et l’empereur Henri III cité, en fait Henri III du Saint-Empire, naquit en 1017, soit 39 et non 49 ans avant 1058, son règne ayant, lui, commencé en 1039 (roi des Romains, puis empereur des Romains à partir de 1046, à l’issue de son sacre par le pape Clément II lors de son très bref pontificat). Henri III était d’ailleurs décédé en 1056, et son règne n’a donc jamais coïncidé avec celui d’Étienne IX. Il apparait de plus certain que le texte a subi diverses altérations puisque la graphie utilisée pour rendre les dates (par exemple « Ml8 » pour 1058, le second caractère de « Ml8 » étant la lettre L minuscule), avec un mélange de caractères romains (majuscules et minuscules) et arabes, est commune de l’époque de la rédaction du Cronaca Rampona mais pas de celle de la supernova quatre siècles plus tôt. En plus de cela, associer l’événement décrit à une observation de la supernova en 1054 nécessiterait de supposer que cette entrée du Cronaca Rampona soit mal placée par rapport au reste du document, puisque les différentes entrées y sont classées par ordre chronologique et que plusieurs des entrées précédentes sont postérieures à 1054 (dans l’ordre, les entrées précédentes se réfèrent à 1046, 1049, 1051, 1055, 1056, écrits selon un mélange de caractères arabes et romains, à savoir Mxl6, Mxl9, Mli, Mlv et Ml6). À cela s’ajoute le fait qu’il y a une incohérence manifeste avec la date de la nouvelle Lune. Le terme de Kalende, qui se réfère au calendrier romain, peut être transcrit en date ordinaire du calendrier grégorien, et la phase de la Lune peut y être calculée. Il s’avère qu’en aucun mois de l’an 1054 la nouvelle Lune ne s’est produite au treizième jour des Kalendes. Tout ceci contraste fortement avec la précision constatée des dates des mentions d’éclipses des chroniques médiévales européennes.
Une étude portant sur 48 éclipses de Soleil partielles ou totales s’étalant de 733 à 1544, révèle que 42 dates sur 48 s’avèrent parfaitement exactes, et sur les six restantes, trois donnent une erreur d’un ou deux jours, alors que les trois autres donnent le jour et le mois exact, mais pas l’année. Enfin, même en considérant que l’événement relaté correspond malgré tout aux mois de mai ou juin 1054, et décrit une conjonction entre la supernova, déjà visible, et la Lune, un autre problème apparait : la Lune n’est pas, lors de ces mois-là, passée notablement près de la direction de la supernova. Incidemment, le vocabulaire utilisé dans le texte latin est assez inhabituel. Le mot latin traduit en français par « cercle » est circuitu en lieu et place du plus habituel circulus, mais cette variante sémantique ne semble pas changer le sens du texte, qui dans toutes les traductions possibles de circuitu suggère qu’un objet s’est trouvé sur, ou proche du trajet suivi par la Lune.
Il est par conséquent possible que le récit décrive une approche voire une occultation de planète par la Lune, contemporaine de la date suggérée (1058). Ce scénario est corroboré par deux documents contemporains parfaitement datés et décrivant en des termes relativement similaires une conjonction et une occultation planétaire par la Lune. Ces deux documents, exhumés par Robert Russell Newton, sont issus des Annales Cavenses, chroniques latines de l’abbaye de Cava située dans le sud de l’Italie. Ils mentionnent, à des dates correspondant au 17 février 1086 et au 6 août 1096, une « étoile brillante qui est entrée dans le cercle de la nouvelle Lune ». Les calculs indiquent que Vénus fut occultée par la Lune pendant une demi-heure le 17 février. Le 6 août, c’est Jupiter qui est passé à moins d’un degré de la Lune, après une éclipse de Lune, également mentionnée dans la chronique. Le fait que le ou les chroniqueurs n’aient pas réalisé qu’ils voyaient non pas une nouvelle étoile, mais une planète, illustre les faibles connaissances astronomiques des érudits de l’époque, dont les témoignages astronomiques sont de fait très difficiles à interpréter et à attribuer à un événement rare.
La chronique de l’église d’Oudenburg
Un groupe d’Italiens a proposé en 1992 un texte flamand comme fournissant un témoignage d’observation de la supernova. Ce texte, en provenance de l’église Saint-Pierre (aujourd’hui disparue) de la ville flamande d’Oudenburg, évoque le décès du Pape Léon IX, survenu au printemps 1054 : « Aux dix-huitièmes calendes de mai, le deuxième jour de la semaine, aux environs de midi, l’âme [du Pape Léon IX] s’en est allée. Au moment où elle a quitté son corps, à Rome, où celui-ci repose, mais aussi sur toute la Terre, un cercle d’une extraordinaire brillance est apparu aux hommes dans le ciel l’espace d’une demi-heure ».
La date décrite correspond au 14 avril 1054, le « second jour de la semaine » étant, selon la coutume de l’époque, le lundi. Cette simple date pose plusieurs problèmes : les nombreux documents historiques évoquant la mort du pape lui associent la date du 19 avril et non du 14. De plus, aucun de ces deux jours (14 et 19 avril) n’était un lundi. La partie astronomique du texte est également difficile à interpréter et à associer à la supernova. Le phénomène décrit, difficilement identifiable, est très bref, ce qui contraste avec l’échelle de temps d’une supernova. Il n’est pas localisé dans le ciel, et l’heure d’observation n’est pas donnée, pas même le fait qu’il se soit produit de jour ou de nuit. Il existe a priori de nombreux phénomènes optiques ou atmosphériques susceptibles d’impressionner un chroniqueur non averti en astronomie, tels des aurores polaires (de nuit) ou un halo solaire (de jour). Tout au plus la mention de « sur toute la Terre » pourrait correspondre à un événement non localisé en un lieu précis, mais aucun élément ne permet de connaitre la motivation exacte d’une telle mention.
Le récit d’Albertus
Dans un ouvrage intitulé De Obitus Leonis, l’auteur, Libuinus, rapporte un phénomène céleste inhabituel observé le jour de la mort de Léon IX par un groupe de pèlerins mené par un certain Albertus, qui se trouvait alors dans la région de Todi (Ombrie, au nord de Rome). Celui-ci aurait affirmé avoir vu : « comme un chemin par lequel son âme était escortée par les anges vers les Cieux, parée de vêtements brillants et de lampes innombrables ».
La nature du phénomène observée est difficilement identifiable, le propos étant manifestement empreint de mysticisme. Certains auteurs ont proposé qu’il évoque en réalité une observation de la supernova. Un moment favorable aurait été le crépuscule, le Soleil se couchant à cette époque avant l’étoile ζ Tauri. Cependant, ce soir là une concentration de planètes se trouvait dans cette région du ciel : Mars, Mercure, Vénus, et un peu plus loin Jupiter. Cette région du ciel étant par ailleurs riche en étoiles brillantes (la constellation d’Orion, Sirius, α Aurigae/Capella, etc), il se pourrait que celles-ci aient, combinées aux planètes, formé les « lampes innombrables » du récit d’Albertus. Dans ce contexte, que la supernova ait été visible ou non ne change pas grand-chose au spectacle observable ce soir-là. Tout comme le témoignage précédent, ce témoignage relie de façon directe la mort du Pape avec un événement « extraordinaire », qui pourrait avoir été invoqué pour justifier d’un miracle associé au défunt, afin de pouvoir procéder à sa canonisation (qui eut lieu en 1087, par Victor III).
Mention dans des annales irlandaises
En 1997, deux auteurs irlandais ont proposé l’extrait d’une chronique irlandaise à l’appui de la thèse d’une observation européenne de la supernova. Cette chronique indique, pour l’année 1054 : « Une tour ronde de feu a été vue à Ros Ela le dimanche de la fête de Saint Georges dans l’espace de cinq heures de la journée, et d’innombrables oiseaux noirs sont passés devant, au milieu desquels il y avait un grand oiseau […] ».
La date de l’événement correspond au 24 avril, soit bien longtemps avant son apparition notée par les Chinois. Le caractère astronomique du témoignage reste très incertain, celui-ci pouvant être comme les précédents de nature mystique. La localisation de l’événement en question (s’il existe) sur la voûte céleste n’est pas précisée. L’heure de l’événement n’est pas non plus connue, mais il semble que l’événement ne se soit produit qu’un seul jour, et non sur une durée bien plus longue comme aurait dû l’être l’observation de la supernova. Par ailleurs, la mention des oiseaux suggère fortement un objet d’une certaine extension angulaire. Aussi une interprétation de type halo solaire ou aurore polaire selon le moment d’observation (jour ou nuit) apparait-elle plus vraisemblable, si tant est que ce soit effectivement un événement astronomique qui soit relaté.
Mention dans une chronique arménienne
En 1969, deux auteurs arméniens publièrent une liste de témoignages d’observation de météores en provenance de chroniques arméniennes. Un de ces deux auteurs estima quelques années plus tard que l’un de ces documents était susceptible de correspondre à une observation de la supernova de 1054. Selon la traduction qu’il fit du document, ce dernier indiquait : « 1054, cinquième année du règne de Léon IX. Cette année-là, sur le disque de la Lune, une étoile est apparue. Cela s’est produit le 14 mai, dans la première partie de la nuit ».
Ce bref descriptif suggère fortement un rapprochement ou une occultation entre la Lune et une planète ou une étoile brillante. Les calculs indiquent en effet qu’à la date mentionnée, la Lune, alors dans le Cancer était en conjonction avec Jupiter, qu’elle a approché à environ 3 degrés, chose que les tenants de l’hypothèse d’une observation de la supernova ne semblent pas avoir vérifiée ou en tout cas mentionnée.
Résumé des documents européens
Parmi les six documents européens, un ne semble pas correspondre à l’année de la supernova (la chronique de Jacobus Malvecius). Un autre (le Cronaca Rampona) présente d’importants problèmes de datation et de cohérence interne. Les quatre autres sont datés de façon relativement précise, mais notablement antérieurs aux documents chinois : ils datent du printemps et non de l’été 1054, c’est-à-dire avant la conjonction entre la supernova et le Soleil. Trois des documents (la chronique de Jacobus Malvecius, le Cronaca Rampona, et la chronique arménienne) font de façon relativement explicite référence à des conjonctions entre la Lune et des astres dont un seul est identifié (Jupiter, dans la chronique arménienne). Les calculs indiquent que la Lune ne s’est jamais beaucoup approchée de la supernova au printemps 1054. Les trois autres documents sont très nébuleux et ont un contenu astronomique quasiment inexploitable, si tant est qu’il existe. Aucun d’eux ne semble s’être produit dans la durée (une demi-heure dans la chronique de l’église d’Oudenbourg, cinq heures dans les annales irlandaises, et une durée indéterminée mais implicitement brève dans le récit d’Albertus). Aucun document ne situe explicitement la région du ciel dans laquelle s’est produit le phénomène, et aucune indication de l’heure d’observation n’est donnée. Dans l’hypothèse où les phénomènes décrits ont eu une base physique réelle, de nombreux phénomènes atmosphériques ou optiques sont susceptibles d’en être la cause.
D’une manière plus générale, ces documents ne sont pas le fait d’astronomes, mais de chroniqueurs sans doute érudits, mais ayant des connaissances astronomiques limitées. Cela est évident sur le document le plus exploitable, la chronique arménienne, où une conjonction banale entre la Lune et Jupiter n’est pas reconnue comme telle, comme c’est le cas de nombreuses autres conjonctions.
Une réinterprétation polémique des observations européennes
En 1999, George W. Collins et ses collaborateurs proposent une réinterprétation radicale des documents européens, et prétendent que ceux-ci indiquent de façon convaincante que les Européens avaient, bien avant les astronomes du monde chinois, observé la supernova.
Concernant les documents chinois, ils pointent leurs différentes erreurs de date (voir ci-dessus) comme autant de preuves que la qualité de leurs observations était inférieure à ce qui est communément admis, et que de ce fait, rien n’empêche que des observateurs plus aguerris aient pu voir la supernova avant. Ils appuient leur propos en évoquant aussi le problème de la localisation de la supernova par rapport à l’étoile ζ Tauri (voir ci-dessous). Enfin, en se fondant sur une traduction contestée du document du royaume khitan, ils affirment que la supernova était vraisemblablement visible lors de l’éclipse de Soleil du 10 mai 1054.
À l’inverse, ils réinterprètent les documents européens comme relativement concordants quant au fait qu’un événement astronomique notable s’est produit au printemps 1054, avant la conjonction entre la supernova et le Soleil. Ils considèrent que l’aspect quelque peu métaphorique de certains d’entre eux ne fait que refléter leur moindre connaissance du ciel, sans pour autant préjuger de leur capacité d’observation, et que les problèmes de date du Cronoca Rampona n’en sont pas, les chroniqueurs européens ne prétendant pas être attachés à une grande précision dans ce domaine. Ils rappellent aussi, sans en apporter de justification, que la motivation des observations chinoises d’étoiles invitées était avant tout de nature astrologique et non scientifique, ce qui pourrait biaiser leur contenu.
Quant à la mention de la supernova dans les écrits d’Ibn Butlan, ils se fient implicitement à la date de 445 du calendrier musulman (23 avril 1053 – 11 avril 1054) et non de 446 (12 avril 1054 – 1er avril 1055) pour affirmer que la supernova était visible dès avril 1054, sans tenir compte du fait que d’autres parties de ses écrits sont largement plus cohérentes avec la date de 446 et non 445.
Les travaux de Collins et al. ont vivement été critiqués par F.Richard Stephenson et David A. Green, qui pointent de leur côté un manque de sérieux dans l’analyse de leurs confrères. Ils insistent notamment sur le fait que les problèmes de dates des documents asiatiques sont aisément résolus. L’un d’entre eux (le Xu Zizhi Tongjian Changbian) correspond de façon relativement évidente à une erreur typographique, et l’autre (le mois d’observation de documents japonais) à une erreur de date commune à cet ensemble de documents. Ils rappellent que l’affirmation que la supernova ait été visible lors de l’éclipse du 10 mai 1054 résulte non seulement d’une interprétation hasardeuse de la traduction, mais surtout est contraire à la réalité astronomique. En effet, cette éclipse ayant été seulement partielle, aucun astre alors proche du Soleil n’était susceptible d’être subitement devenu observable à ce moment-là. Ils insistent enfin sur le manque manifeste de connaissances astronomiques des chroniqueurs européens comparé aux astronomes chinois. Ce point rend selon eux difficile une attribution de ces documents à une observation de la supernova. Si tel était le cas, il faudrait non seulement expliquer pourquoi aucun document européen ne mentionne la supernova en été, date à laquelle elle était parfaitement visible d’après les documents chinois, mais aussi pourquoi les observateurs chinois et japonais, très vraisemblablement plus aguerris, auraient manqué la supernova à ce moment-là. Ils font également remarquer que même en cas de concordance de dates, rien ne prouve que des événements s’étant produit lors d’une même année correspondent à un unique phénomène astronomique. Les étoiles invitées de 837 sont un exemple de deux novas différentes s’étant produit la même année (marquée par ailleurs par le très spectaculaire passage de la comète de Halley). Les quatre étoiles invitées de 1592 renforcent cette remarque. Les conclusions de Green et Stephenson rejoignent des travaux antérieurs datant de 1995 où les différentes observations européennes avaient déjà été rejetées en bloc en raison de leur imprécision et de l’impossibilité d’en tirer un sens astronomique clair.
La thèse de Collins et al. n’a par la suite pas été notablement reprise dans la littérature scientifique, mais a néanmoins joui d’une certaine visibilité auprès du grand public, étant notamment reprise avec un certain enthousiasme par la revue Ciel & Espace.
Amérique du Nord
Plusieurs auteurs ont souligné que deux peintures amérindiennes du sud-ouest des États-Unis (dans le nord de l’Arizona) montraient un croissant de Lune situé à côté d’un cercle susceptible de représenter une étoile. Il a été proposé que cela représente une conjonction entre la Lune et la supernova, rendue possible par le fait que vue de la Terre, la supernova s’est produite dans le plan de l’écliptique. Cette hypothèse est compatible avec les datations effectuées de ces peintures. De fait, au matin du 5 juillet, la Lune était située à proximité immédiate de la supernova, ce qui pourrait renforcer l’idée que ce soit cette conjonction qui ait été représentée sur ces peintures. Cette interprétation reste cependant impossible à confirmer. D’une part, la datation des peintures est extrêmement imprécise (entre le Xe siècle et le XIIe siècle), et une seule de ces peintures montre le croissant de Lune avec l’orientation correcte par rapport à la supernova. De plus, ce type de dessin pourrait parfaitement représenter une conjonction de la Lune avec Vénus ou Jupiter.
Un autre document, plus connu, a été mis au jour dans le courant des années 1970 sur le site de Chaco Canyon (Nouveau-Mexique), occupé vers l’an mil par les Indiens Anasazis. Il représente, sur une surface verticale plane d’une construction, une main en dessous de laquelle se trouvent un croissant de Lune orienté vers le bas et, plus à gauche, une étoile. Sur le sol devant ce pétroglyphe se trouve un dessin qui pourrait évoquer un noyau et une queue cométaire. Outre le pétroglyphe qui peut évoquer la configuration de la Lune et de la supernova au matin du 5 juillet 1054, cette période correspond à l’apogée de la civilisation Anasazi. Dans l’optique de cette identification, il semble possible de proposer une interprétation de l’autre pétroglyphe, qui, s’il est contemporain du premier, pourrait éventuellement correspondre au passage de la comète de Halley de l’an 1066, dont on sait qu’il fut aisément observé en Europe, puisque figurant sur la tapisserie de Bayeux. Cette interprétation, certes plausible, est difficile, sinon impossible, à confirmer. En particulier, elle n’explique pas pourquoi ce serait la supernova de 1054 qui aurait été représentée plutôt que la supernova de l’an 1006, bien plus lumineuse d’après tous les témoignages historiques connus (mais pas en conjonction avec la Lune, car située trop loin du plan de l’écliptique), et également visible à l’apogée de cette civilisation.
Finalement, bien que populaire, l’idée que des civilisations amérindiennes aient effectivement laissé une trace de l’observation de cette supernova demeure essentiellement impossible à vérifier et, d’un point de vue purement astronomique, ne donne de toute façon pas d’informations supplémentaires sur cet événement.
Nature de l’événement relaté
Localisation générale de l’événement
Les indications les plus précises de la localisation de l’événement font référence à un astérisme dénommé Tianguan par les astronomes chinois.
Les astérismes de l’astronomie chinoise peuvent être assimilés aux constellations du monde occidental, mais sont en général d’une extension moindre, et peuvent ne posséder qu’une seule étoile. Ils ont été catalogués par les Chinois aux alentours du IIe siècle av. J.-C. Tous ces astérismes ne sont pas également bien déterminés aujourd’hui : selon l’éclat des étoiles qui les composent et l’importance astronomique ou symbolique qu’ils ont, ils ont été plus ou moins bien décrits par les astronomes du monde chinois, dont une partie des écrits seulement est parvenue jusqu’à nous. Les astérismes utilisant les étoiles les plus brillantes du ciel ont été compilés dans un ouvrage appelé Shi Shi. Tianguan en fait partie. Sa localisation est rendue relativement aisée par la combinaison de plusieurs facteurs.
Pour la plupart des astérismes du Shi Shi, sont données les coordonnées d’une étoile appelée étoile référente de l’astérisme, qui correspond en général à l’étoile située la plus à l’ouest. Dans le cas des astérismes à une seule étoile, ceci suffit en principe à repérer l’étoile. La façon dont les coordonnées sont données par les astronomes chinois s’apparente au système de coordonnées équatoriales, c’est-à-dire l’équivalent de la longitude et de la latitude sur la sphère céleste dont les pôles sont déterminés par l’axe de rotation de la Terre, ces coordonnées étant respectivement appelées en astronomie ascension droite et déclinaison. Les astronomes chinois notaient la distance angulaire de l’étoile non pas par rapport à l’équateur céleste, mais par rapport au pôle nord céleste (ce qui dans d’autres contextes s’appelle la colatitude), ainsi que l’écart en ascension droite non pas par rapport à un point de référence (le point vernal en astronomie moderne), mais par rapport à un ensemble d’étoiles de référence, qui sont les étoiles référentes d’une classe particulière d’astérismes appelés loges lunaires. Ce jeu de mesure a été effectué très tôt pour de nombreux astérismes par les astronomes chinois.
Il est possible que la composition d’un astérisme donné change au cours du temps, celle-ci n’étant que très rarement explicitée étoile par étoile dans les traités astronomiques. Ceci est d’autant plus susceptible de se produire quand l’astérisme ne comporte pas d’étoiles brillantes. Mais les mesures de position des étoiles référentes étaient faites régulièrement au cours du temps, parce qu’il semble bien que les Chinois ne considéraient pas comme acquis que les cieux fussent immuables. Ils avaient observé que les positions relatives des étoiles étaient susceptibles de changer, et que le système de coordonnées équatoriales changeait au cours du temps du fait de la lente dérive de la direction de l’axe de rotation de la Terre. Ce phénomène, connu depuis l’Antiquité grecque, fut découvert indépendamment quelques siècles plus tard par les Chinois sous l’appellation de précession des équinoxes. Dans le cas de Tianguan, la position de cet astérisme a été réévaluée quelques mois avant l’arrivée de l’étoile invitée.
Indépendamment de ces nouvelles mesures, les traités astronomiques précisent en général la position relative des astérismes entre eux. Ainsi, un astérisme est localisable si ses voisins le sont de façon robuste. Dans le cas de Tianguan, il est indiqué qu’il se situe au pied de l’astérisme Wuche, dont les représentations sur les cartes du ciel chinois ne laissent guère de doute quant à sa nature : il s’agit du grand pentagone englobant les étoiles brillantes de la constellation occidentale du Cocher. Comme par ailleurs Tianguan est représenté au nord de l’astérisme Shen, dont la composition est bien connue, correspondant aux étoiles brillantes d’Orion, sa localisation possible est fortement contrainte au voisinage immédiat de l’étoile ζ Tauri, située entre Wuche et Shen. Cette étoile, d’éclat moyen (magnitude apparente de 3,3), est la seule étoile d’un tel éclat dans cette zone du ciel (aucune étoile plus brillante que la magnitude apparente 4,5 n’existe dans un rayon de 7 degrés autour de ζ Tauri), et donc la seule susceptible de figurer parmi les astérismes du Shi Shi. L’ensemble de ces éléments, ainsi que quelques autres, permettent d’attester au-delà de tout doute raisonnable que Tianguan correspond à l’étoile ζ Tauri.
Comète, nova, ou supernova ?
Les « étoiles invitées » rapportées par les astronomes du monde chinois correspondent à trois types de phénomènes astronomiques distincts : comètes, novas et supernovas (et en de plus rares occasions météores). La distinction entre les comètes et le reste se fait par la présence ou non d’un déplacement de l’astre observé. Sur la très longue période de visibilité de l’étoile invitée de 1054 (642 jours, entre le 4 juillet 1054 et le 6 avril 1056), aucune mention de déplacement n’est rapportée, et la très longue durée du phénomène excède d’un facteur trois la plus longue durée rapportée d’observation de comète (un peu plus de six mois). L’étoile invitée est donc sans l’ombre d’un doute une nova ou une supernova.
La distinction entre ces deux possibilités se fait en prenant en compte la durée du phénomène et sa localisation dans le ciel. Les novæ sont des explosions se produisant à la surface de certaines étoiles, dont la courbe de lumière décroît très rapidement à l’issue de celles-ci, qui durent rarement plus de quelques mois. Si des novas lentes existent (une des quatre étoiles invitées de 1592 en est un probable exemple), elles sont relativement rares. Par ailleurs, les novas sont des phénomènes notablement moins lumineux que les supernovas. Une nova visible en plein jour émane d’un astre proche du Soleil, dont la position sur le ciel est relativement aléatoire. Par contraste, les supernovas sont des phénomènes beaucoup plus rares, et si pour être visibles à l’œil nu ils se produisent dans notre Galaxie, ils sont en moyenne à bien plus grande distance, en général au sein des bras spiraux, c’est-à-dire, vu depuis la Terre, dans le plan galactique, autrement dit dans la bande lumineuse caractéristique de notre Galaxie. L’étoile invitée de 1054, d’une très longue période de visibilité et située à une très faible latitude galactique présente toutes les caractéristiques d’une supernova. Pour finir de prouver cette assertion, il reste à trouver les restes de l’explosion, c’est-à-dire le rémanent de supernova associé.
La région de ζ Tauri est située dans la région opposée du centre galactique. C’est là que la profondeur du disque de notre Voie Lactée est la moindre, et donc la zone où le taux de supernovas est le plus faible. Il n’existe de ce fait que très peu de rémanents de supernova identifiés dans cette région. Si l’on centre les recherches sur l’étoile ζ Tauri, un rémanent se trouve à proximité immédiate, il s’agit de la nébuleuse du Crabe. Aucun autre rémanent se trouve à moins de 5 degrés de celui-ci. Le plus proche, SNR G180.0-1.7, héberge en son sein un pulsar, PSR J0538+2817, dont l’âge caractéristique se compte en centaines de milliers d’années, et le rémanent lui-même possède une taille angulaire considérable (3 degrés), autant de caractéristiques indiquant un objet âgé. La nébuleuse du Crabe est le seul objet présentant des caractéristiques attendues d’un rémanent jeune et elle est de ce fait considérée comme le produit de l’explosion observée en 1054.
Le problème de la localisation précise du rémanent
Trois documents chinois indiquent que l’étoile invitée était située « peut-être à quelques pouces » au sud-est de Tianguan. Le Song Shi et le Song Huiyao précisent qu’elle « montait la garde » de l’astérisme, correspondant à l’étoile ζ Tauri. L’orientation « sud-est » a un sens astronomique simple, la sphère céleste étant, comme le globe terrestre, dotée d’un pôle nord et d’un pôle sud célestes, la direction « sud-est » correspondant ainsi à une localisation « en dessous à gauche » par rapport à l’objet de référence (en l’occurrence l’étoile ζ Tauri) quand celle-ci apparait plein sud. Cependant, cette direction « sud-est » a, dans le cadre de cet événement, longtemps laissé les astronomes modernes perplexes : le rémanent logique de la supernova correspondant à l’étoile invitée est la nébuleuse du Crabe. Or celle-ci n’est pas située au sud-est de ζ Tauri, mais dans la direction opposée, au nord-ouest.
La distance angulaire
Le terme de « peut-être à quelques pouces » (ke chi cun dans sa translittération latine) est relativement peu commun dans les documents astronomiques chinois. Le premier terme ke est traduit par « approximativement » ou « peut-être », cette dernière traduction étant celle actuellement favorisée. Le second terme, chi, signifie « plusieurs », et plus spécifiquement tout nombre situé entre 3 et 9 (bornes comprises). Enfin, cun s’apparente à une unité de mesure d’angle traduite par le terme « pouce ». Elle fait partie d’un groupe de trois unités angulaires, le zhang (aussi traduit chang), le chi (« pied ») et le cun (« pouce »). Les différents documents astronomiques indiquent sans guère de discussion possible qu’un zhang correspond à dix chi, et qu’un chi correspond à dix cun. Ces unités angulaires ne sont pas celles utilisées pour déterminer les coordonnées des étoiles, qui sont données en termes de du, une unité d’angle correspondant à la distance angulaire moyenne parcourue par le Soleil en un jour, qui correspond par construction à environ 360/365,25 degré, soit à peine moins d’un degré. Le choix de l’utilisation d’unités d’angle différentes peut surprendre, mais n’est guère différent de la situation présente en astronomie moderne, où l’unité d’angle utilisée pour mesurer les distances angulaires entre deux points est certes la même que celle de la déclinaison (le degré), mais diffère de celle de l’ascension droite (qui est exprimé en heure d’angle, une heure d’angle correspondant à exactement 15 degrés). En astronomie chinoise, ascension droite et déclinaison ont la même unité, qui n’est pas celle utilisée par ailleurs pour les autres distances angulaires. La raison de ce choix d’unités différentes dans le monde chinois n’est pas bien connue.
La valeur exacte de ces nouvelles unités (zhang, chi, cun) n’est par contre jamais explicitement précisée, mais peut être déduite par leur contexte d’utilisation. Par exemple, le très spectaculaire passage de la comète de Halley de l’an 837 indique que la queue de la comète mesurait 8 zhang. S’il n’est pas possible de connaître la taille angulaire de la comète lors de ce passage, il est en tout état de cause certain que 8 zhang correspondent à au plus 180 degrés (angle maximal visible sur la sphère céleste), ce qui implique qu’un zhang ne puisse guère excéder 20 degrés, et par voie de conséquence un cun 0,2 degré. Une estimation plus rigoureuse a été faite à partir de 1972 sur la base des mentions des séparations minimales exprimées en chi ou en cun entre deux astres lors de diverses conjonctions31. Les résultats obtenus suggèrent qu’un cun est compris entre 0,1 et 0,2 degré, et qu’un chi est compris entre 0,44 et 2,8 degrés, fourchette compatible avec les estimations pour un cun. Faute d’estimation plus solide, il est généralement admis qu’un chi est de l’ordre d’un degré (ou un du), et qu’un cun est de l’ordre d’un dixième de degré. L’expression « peut-être à quelques pouces » suggère donc une distance angulaire de l’ordre d’un degré ou moins.
La direction
Si tous les éléments disponibles suggèrent fortement que l’étoile de 1054 fut une supernova, et qu’au voisinage de l’endroit où l’étoile est apparue se trouve un rémanent de supernova qui possède toutes les caractéristiques attendues pour un objet âgé d’environ 1 000 ans, un problème de taille se pose : le nouvel astre est décrit comme étant au sud-est de Tianguan, alors que la nébuleuse du Crabe est au nord-est. Ce problème est connu depuis les années 1940 et est longtemps resté sans réponse. En 1972 par exemple, Ho Peng Yoke et ses collaborateurs ont suggéré que la nébuleuse du Crabe n’était pas le produit de l’explosion de 1054, mais que le vrai rémanent était comme indiqué dans plusieurs sources chinoises au sud-est. Pour cela, ils envisagent que l’unité angulaire cun correspond à un angle non négligeable de 1 ou 2 degrés, la distance du rémanent à ζ Tauri étant alors considérable. Outre le fait que cette hypothèse est incohérente avec les grandes tailles angulaires de certaines comètes, exprimées en zhang, elle se heurte au fait qu’il n’y aurait pas de raisons valables de mesurer l’écart entre l’étoile invitée et une étoile située aussi loin d’elle, alors que d’autres astérismes seraient plus proches.
Dans leur article polémique (voir plus haut), Collins et ses collaborateurs font une autre suggestion : au matin du 4 juillet, l’étoile ζ Tauri était trop peu lumineuse et trop basse sur l’horizon pour être visible. Si l’étoile invitée, située à proximité était visible, c’est uniquement parce que son éclat était comparable à Vénus. Par contre, il y avait une autre étoile, plus brillante et plus haute sur l’horizon, qui était éventuellement visible, à savoir β Tauri. Cette étoile est située à environ 8 degrés au nord-nord-ouest de ζ Tauri. La nébuleuse du Crabe est, elle, au sud-sud-est de β Tauri. Collins et al. suggèrent ainsi que lors de la découverte, l’étoile ait été vue au sud-est de β Tauri, et qu’à mesure que les jours passaient et que les conditions de visibilité s’amélioraient, les astronomes aient observé qu’elle était en réalité bien plus proche de ζ Tauri, mais que la direction « sud-est » de la première étoile utilisée en référence ait été conservée par erreur.
La solution au problème de direction fut suggérée (sans preuves) par A. Breen et D. McCarthy en 1995 et prouvée de façon convaincante par F. R. Stephenson et D. A. Green. Le terme « monter la garde » signifie une proximité entre les deux astres, mais implique aussi une orientation générale : une étoile invitée « montant la garde » d’une étoile fixe est systématiquement située au-dessus de celle-ci. Pour étayer cette thèse, Stephenson et Green ont étudié d’autres entrées du Song Shi, qui comportent elles aussi la mention de « monter la garde ». Ils ont sélectionné les entrées relatant des conjonctions entre des étoiles identifiées et des planètes, dont la trajectoire peut être calculée sans difficulté et avec une très grande précision aux dates indiquées. Sur les 18 conjonctions analysées, s’étalant de 1172 (conjonction Jupiter-α Leonis le 5 décembre) à 1245 (conjonction Saturne-γ Virginis le 17 mai), la planète était plus au nord dans 15 cas, et dans les trois cas restants n’était jamais dans le quadrant sud de l’étoile. Par ailleurs. F. R. Stephenson et un autre collaborateur, David H. Clark avaient déjà mis en évidence une telle inversion de direction dans une conjonction planétaire : le 13 septembre 1253, une entrée du traité astronomique du Koryo-sa indique que Mars avait caché l’étoile sud-est de la loge lunaire Yugui (δ Cancri), alors qu’elle s’était en réalité approchée de l’étoile nord-ouest de l’astérisme (η Cancri).
L’identification moderne de la supernova
À l’époque moderne, c’est entre les années 1920 et 1940 que l’étoile invitée de 1054 fut identifiée comme étant une supernova. En 1921, c’est d’abord Carl Otto Lampland qui annonce avoir observé des changements dans la structure de la nébuleuse du Crabe. Cette annonce se produit à une époque où la nature de l’ensemble des nébulosités observées dans le ciel est totalement inconnue. Leur nature, leur taille et leur distance sont sujettes à débats. Observer des changements dans de tels objets permet de déterminer si leur extension spatiale est « petite » ou « grande », au sens où un objet aussi vaste que notre Voie lactée ne peut voir son aspect changer notablement en l’espace de quelques années, alors que de tels changements sont envisageables si la taille de l’objet n’excède pas quelques années-lumière. Les dires de Lampland furent confirmés quelques semaines plus tard par John Charles Duncan, astronome à l’observatoire du Mont Wilson. Celui-ci bénéficiant d’un matériel photographique qui n’avait pas changé depuis 1909 et qui rendait de fait plus facile la comparaison avec des clichés plus anciens, mit en évidence un mouvement général d’expansion de la nébuleuse, le déplacement de certains de ses points les éloignant systématiquement du centre et ce d’autant plus vite qu’ils en étaient éloignés.
Toujours en 1921, Knut Lundmark entreprend de compiler les données sur les « étoiles invitées » mentionnées dans les chroniques du monde chinois connues des Occidentaux2. Il se fonde pour cela sur des travaux antérieurs ayant analysé diverses sources, telles le Wenxian Tongkao, pour la première fois étudié d’un point de vue astronomique par l’astronome français Jean-Baptiste Biot vers le milieu du XIXe siècle, aidé en cela de son fils Édouard Biot, sinologue. Lundmark donne une liste de 60 « novas possibles » (suspected novae), terme générique pour désigner une explosion stellaire, recouvrant en réalité deux phénomènes bien distincts, les novae et les supernovae. La nova de 1054, déjà mentionnée par les Biot en 1843, fait partie de sa liste. Il précise en note de bas de page que la localisation de cette étoile invitée est « près de NGC 1952 », un des noms de la nébuleuse du Crabe, mais ne semble pas proposer explicitement de lien entre les deux.
En 1928, Edwin Hubble est le premier à noter que l’aspect changeant de la nébuleuse du Crabe, dont la taille augmente, suggère qu’il s’agisse des restes d’une explosion stellaire. Il réalise que la rapidité du changement de taille apparente de la nébuleuse signifie que l’explosion qui lui a donné naissance remonte à neuf siècles seulement, ce qui met la date de l’explosion dans la période couverte par la compilation de Lundmark. Il note par ailleurs que la seule nova possible recensée au voisinage de la constellation du Taureau (où se trouve la nébuleuse) est celle de 1054, dont l’âge estimé correspond précisément à une explosion datant du début du second millénaire. Hubble en déduit donc, à raison, que cette nébuleuse est effectivement le reste de cette explosion observée par les astronomes du monde chinois. La remarque de Hubble reste relativement confidentielle, le phénomène physique de l’explosion n’étant à l’époque pas connu. C’est onze ans plus tard, alors que le fait que les supernovæ sont des phénomènes extrêmement lumineux a été mis en évidence par Walter Baade et Fritz Zwicky et que leur nature a été suggérée par Zwicky que Nicholas U. Mayall propose que l’étoile de 1054 soit en réalité une supernova, se fondant pour cela sur la vitesse d’expansion de la nébuleuse mesurée par spectroscopie, qui permet de déterminer sa taille physique et sa distance, qu’il estime à 5 000 années-lumière. Se basant sur la mention de l’éclat de l’étoile figurant sur les premiers documents découverts en 1934, il en déduit que l’éclat de l’astre en fait bien plus probablement une supernova qu’une nova.
Ce diagnostic s’affinera par la suite, ce qui poussera en 1942 Mayall et Jan Oort à analyser plus avant les témoignages historiques relatant l’apparition de l’étoile invitée (voir section Recueil des témoignages historiques ci-dessus). Ces nouveaux témoignages, globalement concordants entre eux, confirmeront les conclusions initiales obtenues par Mayall et Oort en 1939 et l’identification de l’étoile invitée de 1054 sera considérée comme établie au-delà de tout doute raisonnable. Toutes les supernovas historiques ne jouissent pas d’un tel statut : les supernovas du premier millénaire (SN 185, SN 386 et SN 393) ne sont établies que sur la base d’un seul document à chaque fois, et dont la précision demeure insatisfaisante ; quant à la supernova historique supposée qui a suivi celle de 1054, SN 1181, il existe des doutes légitimes quant à l’association entre le rémanent pressenti (3C58) et un objet qui aurait moins de 1.000 ans d’âge. Les autres supernovæ historiques dont il existe des témoignages écrits antérieurs à l’invention du télescope (SN 1006, SN 1572 et SN 1604) sont à l’inverse établies avec certitude.
Importance dans l’histoire de l’astronomie contemporaine
SN 1054 s’est plusieurs fois immiscée, parfois de façon fortuite, dans l’histoire de l’astronomie.
Son rémanent, la nébuleuse du Crabe est l’une des premières à être découverte, en 1731, par John Bevis.
En 1757, Alexis Clairaut reprend les calculs d’Edmund Halley et prédit le retour de la comète de Halley vers fin 1758 (plus précisément, il prédit son passage au périhélie au printemps 1759, le début de sa période de visibilité commençant quelques mois plus tôt). La comète devait apparaître dans le ciel dans la constellation du Taureau. C’est en cherchant en vain la comète que Charles Messier crut la découvrir, alors qu’il observait en réalité la nébuleuse du Crabe, issue de l’explosion de SN 1054. Après quelque temps d’observation, notant que l’objet qu’il avait observé ne se déplaçait pas dans le ciel, Messier conclut qu’il avait pris par erreur cet objet pour la comète, et réalisa l’utilité d’établir un catalogue d’objets célestes d’aspect nébuleux mais fixes dans le ciel, afin d’éviter de les assimiler par erreur à des comètes.
William Herschel observe de nombreuses fois la nébuleuse entre 1783 et 1809, sans que l’on sache s’il en connaissait l’existence en 1783 ou s’il la découvre indépendamment de Messier et Bevis. Après plusieurs observations, il conclut qu’elle est composée d’une agglomération d’étoiles.
En 1844, William Parsons est le premier à effectuer un croquis de la nébuleuse, qu’il dénomme à partir de 1848 « nébuleuse du Crabe ». Bien que l’apparence du dessin suggère plus un insecte qu’un crustacé, le terme de « Crabe » sera vite adopté.
En 1913, lorsque Vesto Slipher enregistre son spectre, la nébuleuse du crabe sera encore une fois l’un des premiers objets étudiés. L’astronome américain note tout de suite ses caractéristiques uniques.
L’aspect changeant de la nébuleuse, suggérant un objet de petite taille, est révélé par Carl Otto Lampland en 1921. La même année, John Charles Duncan démontre qu’elle est en expansion, pendant que Knut Lundmark mentionne sa proximité avec l’étoile invitée de 1054, mais sans mentionner les remarques de ces deux confrères.
En 1928, Edwin Hubble propose d’associer la nébuleuse à l’étoile de 1054 (voir ci-dessus), une idée qui reste confidentielle jusqu’à ce que la nature des supernovas soit comprise, et c’est Nicholas Mayall qui indique que l’étoile de 1054 était sans doute une supernova dont la nébuleuse du Crabe est le produit de l’explosion. La recherche des supernovas historiques commence à ce moment-là : sept autres seront ainsi trouvées à partir des observations modernes de rémanents et de l’étude de documents astronomiques des siècles passés, la plus ancienne supernova historique identifiée, SN 185, remontant à la fin du IIe siècle.
En 1949 la nébuleuse est une des toutes premières-radiosource à être associée à une contrepartie optique.
Dans le courant des années 1960, qui virent la prédiction puis la découverte des pulsars, la nébuleuse du Crabe devint à nouveau un centre d’intérêt majeur. C’est là que Franco Pacini y prédit pour la première fois l’existence d’une étoile à neutrons, seule à même d’expliquer l’éclairement de la nébuleuse. Cette étoile à neutrons fut observée peu après, en 1968, confirmation éclatante de la théorie de la formation de ces objets lors de certaines explosions de supernovas. La découverte du pulsar du Crabe, et la connaissance de son âge exact (quasiment au jour près) permit de vérifier les considérations de base sur la physique de ces objets, telles les concepts d’âge caractéristique, de luminosité de ralentissement, et les ordres de grandeurs (taille, et champ magnétique notamment) qui y sont à l’œuvre, ainsi que divers aspects relatifs à la dynamique de son rémanent. Ce rôle particulier de cette supernova fut d’autant plus crucial qu’aucune autre supernova historique n’a donné naissance à un pulsar dont on connaitrait ainsi l’âge de façon précise et certaine. La seule exception possible à cette règle serait SN 1181 dont le rémanent supposé, 3C58, abrite un pulsar, mais dont l’identification avec les observations chinoises de 1181 est parfois contestée.
La nébuleuse du Crabe en lumière “composite”… | …en rayons-X… où l’on distingue très bien le pulsar et le jet des gaz qui s’en échappent… |
… en ultraviolet… |
… en lumière visible … |
… en infrarouge… | … et en ondes radio |
Agrandissement de l’image prise en rayons-X par le télescope Chandra ↑
Une animation (time lapse), de dix clichés réalisés de 2008 à 2017 avec le même télescope, situé en Allemagne
Ce time-lapse est exceptionnel. C’est le résultat d’un travail de 10 ans effectué par l’astronome amateur allemand Detlef Hartmann. Il a photographié la nébuleuse du Crabe chaque année à la même époque (en septembre) entre 2008 et 2017 dans exactement les mêmes conditions d’observation avec son télescope de 440 mm qu’il a construit lui-même.
Pour arriver à ce résultat fascinant où l’on peut réellement voir l’expansion et l’agitation du plasma entourant le pulsar qui est tapi au cœur de la nébuleuse, un équivalent de 32 heures d’exposition ont été nécessaires au total.
La nébuleuse du Crabe, aussi répertoriée M1 dans le catalogue de Messier, est le résidu de la supernova observée en 1054 par les astronomes chinois, une des plus anciennes supernovas dont nous ayons une trace écrite. Depuis 964 ans, le résidu de l’explosion s’étend autour de l’étoile à neutron en rotation rapide qu’a produite la supernova.
Nébuleuse du Crabe ou M1
Complément (parfois redondant) avec la première partie
La nébuleuse du Crabe (ou M1, NGC 1952, Taurus A, Taurus X-1, Sh2-244) est une nébuleuse de vent de pulsar (plérion) et un rémanent de supernova de la constellation du Taureau, du bras de Persée de la Voie lactée. Elle résulte, avec son pulsar du Crabe central, de l’explosion de l’étoile massive SN 1054 en supernova historique, observée de juillet 1054 à avril 1056 par les astronomes chinois de la dynastie Song.
Présentation
La nébuleuse est ensuite observée pour la première fois en 1731 par John Bevis, puis en 1758 par Charles Messier, qui en fait le premier objet M1 de son catalogue Messier. Son nom traditionnel remonte au XIXe siècle, époque où William Parsons, troisième comte de Rosse, observe la nébuleuse au château de Birr (dans les années 1840) et y fait référence sous le nom de nébuleuse du Crabe (en anglais Crab nebula), en raison d’un dessin qu’il en fait et qui ressemble à un crabe. La nébuleuse du Crabe ne doit pas être confondue avec la nébuleuse australe du Crabe (Hen2-104) avec sa ressemblance considérée comme plus manifeste avec le crustacé éponyme.
Située à une distance de ∼ 6.300 a.l. (∼ 1.930 pc) de la Terre, dans la constellation du Taureau, la nébuleuse a un diamètre de ∼ 10 a.l. (∼ 3,07 pc) et sa vitesse d’expansion est de 1.500 km/s, caractéristiques typiques pour un rémanent de cet âge. C’est le premier objet astronomique à avoir été associé à une explosion historique de supernova.
La nébuleuse contient en son centre un pulsar, le pulsar du Crabe (ou PSR B0531+21) qui tourne sur lui-même environ trente fois par seconde. Il s’agit du pulsar le plus énergétique connu, rayonnant environ 200.000 fois plus d’énergie que le Soleil, dans une gamme de fréquence extrêmement vaste, s’étalant de 10 mégahertz à plus de 30 GeV, soit près de 18 ordres de grandeurs. Le pulsar joue un rôle important dans la structure de la nébuleuse, étant entre autres responsable de son éclairement central. Ce pulsar a été photographié, en 2023, par le télescope spatial James Webb, lors de son observation en infrarouge.
Située à proximité immédiate du plan de l’écliptique, la nébuleuse est aussi une source de radiations utile pour l’étude des corps célestes qui l’occultent. Dans les années 1950 et 1960, la couronne solaire a été cartographiée grâce à l’observation des ondes radio de la nébuleuse du Crabe. Plus récemment, l’épaisseur de l’atmosphère de Titan, la lune de Saturne, a été mesurée grâce aux rayons X de la nébuleuse.
Origine
La nébuleuse du Crabe est observée pour la première fois en 1731 par John Bevis. Elle est redécouverte indépendamment en 1758 par Charles Messier alors à la recherche de la comète de Halley dont la réapparition devait se produire dans cette année-là, et dans cette région du ciel. Réalisant qu’il n’avait en réalité pas observé la comète recherchée, Messier a alors l’idée de réaliser un catalogue de nébuleuses brillantes pour limiter les risques de confusion entre ces nébuleuses et les comètes. Au début du XXe siècle, l’analyse des premières photographies de la nébuleuse prises à quelques années d’intervalle révèle son expansion. Le calcul de la vitesse d’expansion permet alors de déduire que la nébuleuse a été formée environ 900 ans plus tôt. Les recherches menées dans les récits historiques ont permis d’établir qu’une nouvelle étoile suffisamment lumineuse pour être visible le jour fut observée dans la même portion du ciel par les astronomes chinois, japonais et arabes en 1054. Étant donné sa grande distance et son caractère éphémère, cette « nouvelle étoile » (ou étoile invitée selon la terminologie asiatique) était en fait une supernova — une étoile massive en fin d’évolution stellaire, ayant subi une explosion après avoir épuisé ses ressources en énergie issue de la fusion nucléaire.
Photos de l’imageur grand champ du télescope de 2,2 mètres de l’Observatoire de l’ESO à La Silla, Chili
L’analyse récente de ces textes historiques a montré que la supernova à l’origine de la nébuleuse du Crabe apparut probablement en avril ou début mai 1054, atteignant une magnitude apparente maximale comprise entre -5 et -3 en juillet 1054. Elle était alors plus lumineuse que tous les autres objets du ciel nocturne à l’exception de la Lune et du Soleil. L’événement est noté dans les recueils chinois où l’étoile a été nommée 天關客星 (天關: position céleste dans le système astronomique chinois traditionnel; 客: invité; 星: étoile; mais 客星 dans l’astronomie chinoise signifiait des évènements ou des astres dont les apparitions, voire les disparitions, n’ont pas pu être calculées et établies auparavant). Pendant 23 jours, elle resta suffisamment lumineuse pour être visible en plein jour. La supernova fut observable à l’œil nu pendant environ deux ans après sa première observation. Grâce aux observations mentionnées dans les textes d’astronomes orientaux en 1054, la nébuleuse du Crabe est le premier objet astronomique dont le lien avec une explosion de supernova a pu être établi.
Caractéristiques physiques
En lumière visible, la nébuleuse du Crabe est une large masse ovale de filaments, d’une longueur d’environ 6 minutes d’arc et d’une largeur de 4 minutes d’arc, entourant une région centrale diffuse bleue. Sa magnitude absolue est de -3 (correspondant environ à la luminosité de 1000 soleils) et sa masse est d’environ 5 masses solaires.
Acquisition réalisée en pose courte
Image en infra-rouge et en haute résolution, obtenue par le télescope spatial James Webb en 2023. Au centre, on constate le pulsar et des rubans blancs de radiation
Les filaments sont les restes de l’atmosphère de l’étoile progénitrice et sont constitués principalement d’hélium et d’hydrogène ionisés ainsi que de carbone, d’oxygène, d’azote, de fer, de néon et de soufre. La température des filaments est comprise entre 11.000 et 18,000 K, et leur densité de matière est d’environ 1.300 particules par centimètre cube. La spectroscopie permet de distinguer deux composantes principales des émissions en lumière visible : une dans le vert et rouge, due à de l’oxygène doublement ionisé ([O III]) et à de l’hydrogène (H-alpha) produites par les couches hautes de l’atmosphère de l’étoile progénitrice en expansion rapide, se heurtant avec le milieu interstellaire. L’autre, de couleur bleue, présente un spectre continu et est très polarisé.
En 1953, Iosif Shklovsky émet l’hypothèse selon laquelle la région bleue et diffuse est principalement produite par rayonnement synchrotron, rayonnement dû à la courbure de la trajectoire d’électrons se déplaçant à des vitesses relativistes (c’est-à-dire proche de la vitesse de la lumière). Trois ans plus tard, sa théorie est confirmée par des observations. Dans les années 1960, il est établi que c’est un intense champ magnétique produit par l’étoile centrale de la nébuleuse qui accélère et courbe la trajectoire des électrons. Cette étoile est une étoile à neutrons et un pulsar, rémanent de la supernova à l’origine de la nébuleuse : le pulsar du Crabe.
La vitesse d’expansion de la nébuleuse a été déterminée en quantifiant le décalage de son spectre par effet Doppler et a été estimée à environ 1.500 km/s. Parallèlement, des images prises à plusieurs années d’intervalle révèlent la lente expansion angulaire apparente sur le ciel. En comparant cette expansion angulaire avec la vitesse d’expansion, la distance de la nébuleuse par rapport au Soleil et sa taille ont pu être estimées à respectivement environ 6.200 et 13 années-lumière.
Image composée de la nébuleuse du Crabe et du pulsar du Crabe central, de Chandra (NASA)
À partir de la vitesse d’expansion de la nébuleuse observée actuellement, il est possible de vérifier la date de la supernova qui correspond à sa formation. Le calcul conduit à une date de quelques décennies antérieure à 1054. Une explication plausible de ce décalage serait que la vitesse d’expansion n’a pas été uniforme, mais s’est accélérée depuis l’explosion de la supernova. Cette accélération serait due à l’énergie du pulsar qui alimenterait le champ magnétique de la nébuleuse qui, en s’étendant, entraîne les filaments vers l’extérieur.
Les estimations de la masse totale de la nébuleuse permettent d’évaluer la masse de la supernova initiale. Les estimations de la masse contenue dans les filaments de la nébuleuse du Crabe varient d’une à cinq masses solaires. D’autres estimations basées sur le pulsar du Crabe ont mené à des valeurs différentes.
Le pulsar du Crabe
Cette image est la combinaison de données optiques de Hubble (en rouge) et de rayons X de Chandra (en bleu)
Étoile centrale
Au centre de la nébuleuse du Crabe se trouve une étoile peu brillante, qui est à l’origine de la nébuleuse. Elle a été identifiée en tant que telle en 1942, lorsque Rudolph Minkowski découvrit que son spectre optique était extrêmement inhabituel et ne ressemblait pas à celui d’une étoile normale. Il a été établi par la suite que la région autour de l’étoile est une source importante d’ondes radio (1949), de rayons X (1963) et qu’elle est un des objets du ciel les plus brillants en rayons gamma (1967). La densité de flux des émissions X est 100 fois plus grande que celle des émissions en lumière visible. En 1968, des recherches ont montré que l’étoile émettait ses radiations sous forme de brèves impulsions, devenant un des premiers pulsars à être identifié et le premier à avoir été associé à un rémanent de supernova.
Les pulsars sont à l’origine de fortes radiations électromagnétiques, paraissant émises plusieurs fois par seconde en de brèves et très régulières impulsions. Leur découverte en 1967 souleva de nombreuses questions ; l’hypothèse selon laquelle ces impulsions étaient des signaux d’une civilisation avancée fut même proposée. Cependant, la découverte d’une source radio pulsante au centre de la nébuleuse du Crabe fut une preuve que les pulsars n’étaient pas des signaux d’extra-terrestres mais étaient formés par des explosions de supernova. Il a depuis été établi que ces impulsions sont dues à des étoiles à neutrons en rotation rapide et dont les puissants champs magnétiques concentrent les radiations émises en d’étroits faisceaux de rayonnement. L’axe du champ magnétique n’étant pas aligné avec celui de rotation, la direction du faisceau balaie le ciel suivant un cercle. Lorsque par hasard la direction du faisceau rencontre la Terre, une impulsion est observée. Ainsi, la fréquence des impulsions est une mesure de la vitesse de rotation de l’étoile à neutrons.
Le pulsar du Crabe aurait un diamètre compris entre 28 et 30 km. Il émet des impulsions de radiations toutes les 33 millisecondes. Mais, comme dans tous les cas de pulsars isolés, la fréquence des impulsions diminue très légèrement mais régulièrement, indiquant que le pulsar ralentit tout doucement. Il arrive cependant que, de temps à autre, sa période de rotation connaisse de brusques variations. Ces variations sont appelées tremblements d’étoiles et seraient dues à de soudains réajustements de la structure interne de l’étoile à neutrons.
L’énergie émise par le pulsar engendre une région particulièrement dynamique au centre de la nébuleuse du Crabe. Alors que la plupart des objets astronomiques ont des durées caractéristiques d’évolution de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers d’années, les parties centrales de la nébuleuse évoluent sur des périodes de quelques jours. La partie la plus dynamique de la zone centrale de la nébuleuse est la zone où le vent équatorial du pulsar rencontre la matière environnante en formant une onde de choc. La forme et la position de cette zone changent rapidement sous l’effet du vent équatorial. Cette zone est visible sous la forme de petites traînées brillantes dont l’éclat augmente puis faiblit au fur et à mesure qu’elles s’éloignent du pulsar.
Étoile progénitrice
L’étoile qui a explosé en supernova et donné naissance à la nébuleuse est appelée l’étoile progénitrice. Deux types d’étoiles produisent des supernovas : les naines blanches (qui donnent des supernova de type Ia par une explosion thermonucléaire détruisant totalement l’étoile) et les étoiles massives (qui donnent des supernova de type « Ib », « Ic » et « II »). Dans ce dernier cas, le cœur de l’étoile s’effondre sur lui-même et se fige en un cœur de fer. L’explosion est produite par l’atmosphère s’effondrant et qui rebondit sur ce cœur. Elle laisse derrière elle un objet compact qui est parfois un pulsar. La présence d’un tel pulsar au sein de la nébuleuse du Crabe signifie qu’elle s’est formée à partir d’une étoile massive. En effet, les supernovas de type « Ia » ne produisent pas de pulsars. Les modèles théoriques d’explosion de supernova suggèrent que l’étoile à l’origine de la nébuleuse du Crabe avait une masse comprise entre huit et douze masses solaires. Les étoiles de masse inférieure à huit masses solaires seraient trop légères pour engendrer des explosions de supernova et produisent des nébuleuses planétaires. Les étoiles de masse supérieure à douze masses solaires produisent des nébuleuses présentant une composition chimique différente de celle observée au sein de la nébuleuse du Crabe.
Un des principaux problèmes soulevés par l’étude de la nébuleuse du Crabe est que la masse combinée de la nébuleuse et du pulsar est beaucoup plus faible que la masse prédite pour l’étoile progénitrice. La raison de cette différence est inconnue. L’estimation de la masse de la nébuleuse est obtenue en mesurant la quantité totale de lumière émise et, connaissant la température et la densité de la nébuleuse, en en déduisant la masse requise pour émettre la lumière observée. Les estimations varient entre 1 et 5 masses solaires, la valeur communément admise étant de 2 ou 3 masses solaires. L’étoile à neutrons aurait une passe comprise entre 1,4 et 2 masses solaires.
La théorie principale expliquant la masse manquante de la nébuleuse du Crabe est qu’une proportion substantielle de la masse de l’étoile progénitrice a été éjectée avant l’explosion de la supernova dans un fort vent stellaire comme c’est le cas de nombreuses étoiles massives comme les étoiles Wolf-Rayet. Cependant, un tel vent aurait créé une coquille autour de la nébuleuse (comme une bulle de Wolf-Rayet). Bien que des observations à différentes longueurs d’onde aient été menées afin d’identifier cette coquille, elle ne l’a jamais été.
Transits par des corps du système solaire
La nébuleuse du Crabe est située à environ un degré et demi de l’écliptique, le plan de l’orbite terrestre autour du Soleil. En conséquence, la Lune et parfois les planètes occultent ou transitent devant la nébuleuse. Bien que le Soleil ne transite pas devant la nébuleuse, sa couronne passe devant elle. Ces transits et occultations peuvent être utilisés afin d’étudier à la fois la nébuleuse et l’objet qui passe devant elle en observant les modifications engendrées par ce dernier sur les radiations de la nébuleuse.
Les transits lunaires ont été utilisés afin de cartographier les émissions de rayons X au sein de la nébuleuse. Avant le lancement de satellites destinés à l’observation en rayons X tels que XMM-Newton ou Chandra, les télescopes d’observation en rayons X avaient une très faible résolution angulaire. Inversement, la position de la Lune est connue avec une très grande précision. Ainsi, quand cette dernière passe devant la nébuleuse, les variations de la luminosité de la nébuleuse permettent de créer une carte des émissions en rayons X.
La couronne solaire passe devant la nébuleuse chaque mois de juin. Les variations des ondes radio provenant de la nébuleuse sont utilisées afin d’étudier la densité et la structure de la couronne. Les premières observations ont montré que la couronne est bien plus étendue qu’il n’était communément admis précédemment. Ces observations ont aussi permis d’établir que la couronne présente des variations substantielles de densité.
Saturne transite aussi devant la nébuleuse du Crabe mais très rarement. Son dernier transit, en 2003, était le premier depuis 1296 ; le prochain aura lieu en 2267. Les scientifiques ont utilisé le télescope Chandra pour observer la lune de Saturne, Titan, durant son transit devant la nébuleuse et ont remarqué que l’ombrage des rayons X dû au passage de Titan était plus grand que la surface solide de cette lune en raison de l’absorption de rayons X par son atmosphère. Ces observations ont permis d’établir que l’épaisseur de l’atmosphère de Titan est de 880 km. Le transit de la planète Saturne elle-même n’a pas pu être observé car le télescope Chandra passait à travers la ceinture de Van Allen au même moment.
Le Pulsar du Crabe : PSR Bo531+21
Le pulsar du Crabe (ou PSR B0531+21, NP 0532, PSR J0534+2200, est un pulsar très jeune, formé il y a moins de mille ans, lors de l’explosion de la supernova historique SN 1054. C’est l’un des deux seuls pulsars connus (l’autre étant PSR J0205+6449) dont l’âge réel est connu avec certitude et est inférieur à 1 000 ans. Son nom traditionnel provient de celui de la nébuleuse du Crabe, correspondant au nom du rémanent de supernova abritant le pulsar. Le pulsar du Crabe a été découvert en 1968. Il s’agit de l’un des premiers pulsars découverts, et il reste à ce jour le plus étudié. Bien que très proche en âge de PSR J0205+6449, il s’en distingue sur de nombreux points, mais présente de multiples similarités avec le pulsar des Voiles, qui est parfois décrit comme étant son « cousin ».
Caractéristiques physiques essentielles
Le pulsar du Crabe est le pulsar le plus énergétique connu pour sa luminosité de ralentissement, c’est-à-dire que c’est le pulsar dont le rapport P/’PP / P ˙P/^P, où P P Pest sa période de rotation (environ 33 ms) et ‘P sa dérivée temporelle (4,2 × 10−13 s/s), est le plus élevé. La lente augmentation de sa période de rotation génère un rayonnement électromagnétique qui est plus de 100 000 fois plus intense que le Soleil, générant environ 4,5 × 1031 W. Ce rayonnement est entre autres responsable de la forte luminosité de la partie centrale de la nébuleuse du Crabe, générée par rayonnement synchrotron.
Découverte
La découverte du pulsar du Crabe, par la mise en évidence du caractère périodique de son rayonnement radio, remonte à 1968, par David H. Staelin et Edward C. Reifenstein depuis l’Observatoire de Green Bank (Virginie-Occidentale, États-Unis). Cependant de nombreuses indications indiquaient depuis près de 25 ans l’existence d’un astre atypique au sein de la Nébuleuse du Crabe, et c’est en vue de déterminer la source d’énergie de la nébuleuse du Crabe que des recherches ont été très tôt entreprises en vue de détecter et de déterminer la nature de l’astre central. En effet, en l’absence de source d’énergie interne, l’éclat de la nébuleuse environnante n’aurait pu subsister plus de quelques années après la supernova qui lui a donné naissance, soit largement moins que son âge à l’époque (un peu plus de 9 siècles en 1960), parfaitement déterminé du fait des témoignages relatifs à la supernova qui lui a donné naissance en 1054. Dès 1942, Walter Baade avait identifié deux astres situés à proximité immédiate du centre géométrique de la nébuleuse du Crabe et soupçonnait que l’un d’entre eux puisse être sa source d’énergie. Il avait également établi que l’une d’elles possédait un spectre extrêmement atypique. Dans le domaine radio, Antony Hewish et S. E. Okoye avaient mis en évidence l’existence d’une source radio (observations faite à une fréquence de 38 GHz), dont les mesures de scintillation indiquaient qu’elle devait être extrêmement compacte. Enfin, en 1967, l’astrophysicien italien Franco Pacini avait élucidé la nature de la source d’énergie de la nébuleuse en prédisant qu’une étoile à neutrons en rotation rapide était susceptible de fournir une source d’énergie suffisante à son environnement. À noter cependant que ce dernier travail, bien que n’ayant précédé que quelques mois la découverte effective des pulsars, était à l’époque passé inaperçu.
La découverte du pulsar du Crabe aurait pu ne pas être possible aussi tôt, car, si l’intensité de son signal radio est très élevée, sa période très faible le rend très difficile à mettre en évidence. En fait, si le pulsar avait eu une émission régulière, les moyens observationnels n’auraient pu permettre sa découverte qu’à partir du milieu des années 1980. Ce qui a permis sa découverte bien avant est une propriété atypique de son émission radio, à savoir le phénomène de pulse géant, qui voit l’émission sur un pulse parfois considérablement plus intense que la moyenne. C’est précisément par la mise en évidence de certains de ces pulses géants, toujours espacés les uns des autres d’un multiple entier de la période du pulsar, que celui-ci a pu être mis en évidence dès 1968. Une fois la période déterminée de cette façon, l’observation du signal périodique était possible dès 1968. Une fois la période connue, la détection du pulsar dans les autres domaines de longueur d’onde suivit rapidement, d’abord en optique, puis en ultraviolet et en X.
La découverte dans le domaine optique a donné lieu à plusieurs péripéties. Dès le 24 novembre 1968, et sans avoir connaissance de l’annonce de la découverte du pulsar, une recherche dans le domaine optique sur une variabilité éventuelle du sein de la nébuleuse du Crabe avait été entreprise par R. V. Willstrop. Les données recueillies révélaient un signal périodique, mais avaient été laissées de côté pour analyse ultérieure. Ainsi leur publication5 se fit-elle après la mise en évidence des pulses optiques le 16 janvier 1969 par une équipe concurrente menée par W. J. Cocke de l’Observatoire Steward (Arizona). Trois jours plus tard d’autres équipes, de l’Observatoire McDonald et de l’Observatoire de Kitt Peak, mirent également en évidence la variabilité optique, mais l’histoire a surtout retenu la contribution de Cocke et ses collaborateurs, également restée célèbre par le fait que lors de la découverte un magnétophone a fortuitement enregistré les réactions des astronomes, dont l’enthousiasme généralement qualifié de « désinhibé » est resté célèbre. Un des clichés les plus célèbres du pulsar du Crabe fut réalisé peu après avec le télescope de 3 mètres de l’Observatoire Lick, mettant en jeu une technique stroboscopique, montrant côte à côte les deux états (« allumé » et « éteint ») du pulsar.
Malgré l’absence de satellite artificiel destiné à l’observation des rayons X cosmiques, l’émission X du pulsar du Crabe fut mise en évidence dès 1969 à l’aide d’expériences embarquées sur des fusées, de façon quasi simultanée par deux équipes, l’une du Naval Research Laboratory, l’autre du Massachusetts Institute of Technology. Cependant, une expérience du même type montée sur une fusée Aerobee 150 antérieure à la découverte du pulsar avait également enregistré le signal périodique du pulsar en 1968, sans que celui-ci soit vu à l’époque, et un an plus tôt une autre expérience, cette fois montée à bord d’un ballon stratosphérique avait également enregistré la périodicité de l’émission de haute énergie du pulsar. Même si ces deux expériences n’ont finalement pas permis l’identification du pulsar, elles ont néanmoins permis de vérifier que la loi de ralentissement de la période du pulsar était effective depuis 1967 au moins.
Une fois le pulsar découvert, la nature du rayonnement éclairant la nébuleuse (rayonnement synchrotron) a été rapidement été mise en évidence (en 1970) par Iossif Chklovski.
Spectre
Le pulsar rayonne sur une immense gamme de fréquence, s’étalant des ondes radio (depuis 10 MHz, voire moins) aux rayons gamma, jusqu’à au moins 50 GeV, soit plus de 18 ordres de grandeur. Il est probable que l’émission se produise à des fréquences inférieures à 10 MHz, mais les effets de propagation dans le milieu interstellaire provoquent un brouillage de l’émission pulsée caractéristique du pulsar, aussi est-il difficile de s’assurer que c’est bien son émission qui est détectée à très basse fréquence. L’existence d’un rayonnement à des énergies au-delà de 30 GeV a été plusieurs fois envisagée, mais longtemps sans confirmation explicite en raison de l’absence de détection d’émission pulsée. Une émission pulsée à 50 GeV a finalement été détectée par le télescope à imagerie Čerenkov atmosphérique MAGIC en 2008. Il n’est pour l’heure pas clair que l’absence de détection certaine à 1 TeV résulte d’une coupure dans le spectre d’émission du pulsar, ou alors d’un manque de sensibilité des instruments utilisés, bien que la première possibilité apparaisse plus plausible.
En 2011, le projet VERITAS décèle des émissions à 400 GeV. Ces observations, les plus puissantes jamais observées ayant pour source un pulsar, entrent cependant en conflit avec les modèles actuels de pulsars − essentiellement basés sur le rayonnement synchrotron, ils prédisent des émissions aux alentours de 10 GeV − mais aussi de la relativité restreinte avec une probable violation de l’invariance de Lorentz. Parmi les pistes privilégiées par les scientifiques pour expliquer ce phénomène, certains parlent de diffusion Compton inverse.
Avec un petit nombre de pulsars du même type (les pulsars gamma), il fait partie des objets rayonnant sur la plus vaste gamme de fréquence connue. C’est un des rares pulsars qui soit à la fois un pulsar radio, un pulsar optique, un pulsar X et un pulsar gamma. Par exemple PSR J0633+1746 (Geminga) n’est pas détecté dans le domaine radio, bien qu’il soit un pulsar gamma puissant.
Le pulsar du Crabe est également un pulsar gamma puissant : en juin 2019, des astrophysiciens et physiciens des hautes énergies ont annoncé avoir détecté, au cours de campagnes d’observations, qui ont duré de février 2014 à mai 2017, des rayons gamma d’une énergie de 450 TeV en sa provenance. Il s’agit du rayonnement le plus énergétique jamais détecté sur Terre. 450 TeV équivaut en comparaison à 45 milliards de fois l’énergie des rayons X pour un diagnostic médical.
Autres caractéristiques
Le pulsar du Crabe exhibe la quasi-totalité des effets observables dans des pulsars. Il présente des irrégularités dans son ralentissement, appelées glitches. Avec le pulsar de Vela, il comptabilise près du tiers des glitches observés sur l’ensemble de tous les pulsars. Son jeune âge permet, malgré la présence de glitches , de mesurer l’évolution séculaire de sa période de rotation, donnant ainsi les dérivées seconde et même troisième de celle-ci, respectivement mesurées à −1,36 × 10−23 s s−2 et 7,56 × 10−34 s s−3. De la seconde dérivée, il est possible de déterminer l’indice de freinage, qui ici vaut 2,518, proche de la valeur canonique prédite par le modèle usuel de ralentissement des pulsars, où l’émission d’un dipôle magnétique tournant auquel est assimilé le pulsar prédit, dans l’hypothèse où son champ magnétique est constant au cours du temps, que l’indice de freinage est égal à 3.
Il présente également le phénomène de pulse géant, particularité qui a d’ailleurs permis sa découverte très tôt dans l’histoire de l’étude des pulsars. Sans cette caractéristique fortuite, le pulsar du Crabe n’aurait sans doute pas pu être découvert avant le milieu des années 1980. La forte luminosité du pulsar dans le domaine radio permet l’étude détaillée des pulses qu’il émet avec une très haute résolution temporelle. Il met en évidence le phénomène de microstructure, donnant des indications sur le phénomène d’émission radio de ce type d’objets.