Les Dentelles du Cygne

Les Dentelles du Cygne

Que sont ces dentelles ? C’est l’un des objets parmi les plus beaux que l’on peut observer dans le ciel, parmi tant d’autres merveilles. Préalable : on ne peut pas les voir à l’œil nu, mais seulement avec un télescope ou une lunette astronomique. C’est quelque chose de très délicat, très subtil, très “léger”.

Comment se sont formées ces dentelles ?  C’est le résultat de l’immense explosion d’une grosse étoile qui s’appelle une supernova. Les Dentelles du Cygne sont ce qu’on appelle un “rémanent” de supernova. En clair c’est ce qui reste d’une supernova, laquelle n’est qu’un phénomène transitoire. 

 

Petit rappel de la manière dont meurent les étoiles, selon leurs masses :

A) Fin de vie d’une petite étoile : Une petite étoile (d’une masse comprise entre 0,8 fois et 6 à 8 fois la masse de notre Soleil), qui vit généralement très longtemps, des milliards d’années, meurt assez calmement : elle transforme son hydrogène en hélium, puis vient le Lithium, le Beryllium, le Bore, puis elle va être bloquée au stade du carbone (élément n° 6 de la table périodique des éléments), où la chaîne de transformations s’arrête, car son cœur n’est pas assez chaud pour aller plus loin et assurer la fusion du carbone. C’est alors qu’elle expulse son gaz (essentiellement des restes d’hydrogène et d’hélium), puis se contracte brutalement en une minuscule étoile (environ de la taille d’une planète) appelée une naine blanche. À ce stade on appelle cet ensemble une “nébuleuse planétaire” (nom maladroit qui leur a été donné il y a plus d’un siècle, car cela n’a strictement aucun rapport avec une planète !). Cette naine blanche, entourée d’un nuage de gaz, est d’abord très chaude, puis va se refroidir lentement et elle mettra quelques milliards d’années pour s’éteindre complètement. Notre Soleil deviendra aussi une naine blanche, après avoir expulsé ses gaz, dans 5 milliards d’années environ, puis se refroidira lentement pendant encore quelques milliards d’années.

Ci-après, les photos des deux nébuleuses planétaires les plus connues, deux petites étoiles de type “naine blanche” qui commencent à doucement s’éteindre, au milieu des nuages de gaz qu’elles ont expulsés. Remarquez que leur aspect visuel est très différent l’une de l’autre, mais c’est le même phénomène qui les a créées. C’est la nature des gaz qui les composent et leurs proportions respectives qui déterminent la couleur des gaz.

↑  La toute première nébuleuse planétaire découverte en 1764, M27 ou “nébuleuse de l’Haltère” ou “Dumbbell”, dans la constellation du Petit Renard, à environ 1.200 années-lumière, âgée de 3.000 à 4.000 ans.

↑  La nébuleuse planétaire M57, appelée aussi “nébuleuse de l’anneau” ou “nébuleuse de la Lyre” (car elle est dans la constellation du même nom), a été découverte en 1779. C’est ce qui reste d’une étoile, devenue naine blanche, qu’on voit ici au centre de la sphère des gaz expulsés. Elle se trouve à environ 2.300 années-lumière, et est âgée de 3.000 à 6.000 ans.

 

B) Fin de vie d’une grosse étoile : Une grosse étoile (qui vit généralement peu longtemps, quelques centaines de millions d’années) d’une masse de 6 à 8 fois supérieure (et plus) à celle de notre Soleil va finir de manière très différente et cataclysmique. Ce sont des étoiles relativement jeunes et très massives. Elles vont assez rapidement brûler leur hydrogène, le transformant en hélium, et ainsi de suite vers d’autres éléments.  Par contre la chaleur intense de son cœur lui permet de dépasser le stade du carbone pour aller vers des éléments de plus en plus lourds. Quand l’étoile arrive à la fusion du fer, n° 26 de la table périodique des éléments (on parle ici d’éléments qui sont tous gazeux) le système se bloque et la fusion nucléaire s’arrête. L’étoile va s’effondrer sur elle-même sous l’effet de sa propre gravité puis va exploser. Pendant cette phase qui ne dure que quelques heures et minutes qui précèdent l’explosion, l’étoile va créer tous les autres éléments de la table périodique, au-delà du fer. Nous ne les citons pas tous, mais des éléments comme le zinc, l’argent, le mercure, l’uranium, etc… seront produits. L’explosion va propulser tous ces éléments gazeux dans toutes les directions, pendant longtemps, à des vitesses surprenantes : plusieurs milliers de km par seconde ! L’explosion d’une telle grosse étoile s’appelle une supernova.

Il y a souvent des étoiles qui explosent en supernovæ, mais elles sont souvent situées dans de très lointaines galaxies et donc invisibles à l’œil nu.  On estime que dans notre galaxie, la Voie Lactée, il s’en produit une à trois par siècle. Par contre, dans l’Univers, il s’en produirait une toutes les 2 ou 3 secondes. L’explosion de la supernova M1, ou “nébuleuse du Crabe” a été vue depuis la Terre en 1054, observée par des astronomes chinois. Elle se situe à environ 6.500 à 7.000 années-lumière. Quand une supernova se produit, on peut en voir l’éclat pendant plusieurs semaines, même en plein jour, et pendant quelques années la nuit. 

Ensuite, il reste souvent quelque chose de l’étoile, plus au moins au centre du nuage à l’origine de l’explosion, dont la nature dépend de la masse et des paramètres de l’explosion. Il peut rester un trou noir stellaire, une étoile à neutrons et/ou un pulsar. Ces objets peuvent ultérieurement émettre toutes sortes de rayonnements : rayons-X, ondes radio, rayons gamma, etc.  Il faut aussi savoir que la dilatation du nuage de gaz continue pendant des milliers, voire des dizaines de milliers d’années. Le diamètre du nuage de gaz de M1 est actuellement de dix années-lumière, soit plus de 600.000 fois la distance Terre-Soleil !

M1 ou Nébuleuse du Crabe : Sur ces deux photos prises à plusieurs dizaines d’années d’écart, on voit bien les gaz qui continuent à se dilater, mille ans après l’explosion

M1 encore : Sur une durée plus courte, une photo par an de 2008 à 2018, prises du même endroit avec le même matériel. On voit très bien la dilatation des gaz

La beauté de la chose est que ce nuage de gaz va, du moins en partie, voir ses atomes de gaz se regrouper sous l’effet de la gravitation, ce qui va déclencher un échauffement de plus en plus considérable des atomes, qui pourra donner ultérieurement naissance à de nouvelles étoiles, porteuses de tous les éléments qui existaient lors de l’explosion. Des nouvelles étoiles et souvent des nouvelles planètes sur lesquelles on trouvera tous ces éléments. C’est donc un cycle, et la boucle est bouclée.

Pour revenir aux dentelles du Cygne, c’est ce qui s’est produit il y a 20.000 ou 21.000 ans, mais n’y avait pas à cette époque d’astronome pour relater l’évènement ! La supernova et le nuage de gaz en expansion, issus de l’explosion de cette étoile se situent à environ 1.440 années-lumière de notre système solaire (à l’échelle du cosmos c’est relativement près). 

Ce qui reste d’une supernova s’appelle un “rémanent” de supernova. Ce qui est exactement la nature des dentelles du Cygne.

 

Les Dentelles du Cygne, nommées ainsi car elles sont situées dans la constellation du Cygne, ont une étendue dans le ciel qui équivaut environ à 6 fois le diamètre de la Pleine Lune vue de la Terre. Compte tenu de sa distance estimée, cela implique que son envergure est de l’ordre de 130 années-lumière, soit 7,8 millions de fois la distance Terre-Soleil !

Pour observer les Dentelles du Cygne, il faut être équipé d’une lunette astronomique ou d’un télescope, mais cela ne suffit pas à correctement voir cet objet très diffus. Il faut donc aussi être équipé de certains filtres pour mieux voir les différentes parties de ce nuage gazeux qu’on discerne mal en lumière uniquement visible, ou bien encore les regarder en rayons ultraviolets ou dans d’autres longueurs d’onde avec des instruments spécialisés.

Les dentelles du Cygne sont une très intense source d’ondes radio, de rayons ultraviolets et de rayons-X. Certaines parties émettent également en lumière visible.

Les différentes parties des dentelles ont chacune leur propre appellation. La totalité s’appelle Sh2-103 ou SNR G074.0-08.6 ou radiosource W78.

Voici la totalité des Dentelles du Cygne en lumière ultraviolette. C’est tellement grand que même avec des télescopes modestes (et de faibles grossissements) on ne peut pas les voir en totalité.

Les astronomes ont donné à ce gigantesque nuage de gaz des noms pour individualiser certaines parties de ce nuage.  Les trois parties principales les plus connues sont : la Grande Dentelle, la Petite Dentelle (aussi appelée “le balai de la sorcière”), et le Triangle de Pickering.

Les mêmes dentelles avec une superposition de 3 photos, chacune dans des longueurs d’onde différentes : En proche infrarouge, en lumière visible et en ultraviolet.

Cet objet est très vaste (une dizaine de degrés carrés) et très morcelé, notamment dans le domaine visible. Il n’a reçu que récemment une désignation qui s’applique à l’objet tout entier. On retrouve notamment les Dentelles du Cygne dans le catalogue Sharpless sous la désignation de Sh2-103. Les anglosaxons l’appellent le “Voile du Cygne”.

On la connaît cependant mieux en tant que groupe de plusieurs parties brillantes grosso modo disposées en cercle :

  • La Grande Dentelle est la partie la plus brillante, et se situe dans la région nord-est. Elle a la forme d’une virgule composée de filaments très fins s’étendant sur 1,2° suivant un axe NO-SE pour une largeur de l’ordre de dix minutes d’arc. Elle a été répertoriée par John Dreyer sous les désignations NGC 6992 (partie longiligne du nord-ouest), NGC 6995 (avec repli au sud-est) et IC 1340 (extensions plus faibles de ce repli).
  • La Petite Dentelle ou « Balai de la Sorcière » se situe à l’opposé de la grande, à 2,5° au sud-ouest de cette dernière. Elle présente la particularité d’effleurer visuellement une étoile visible à l’œil nu (52 Cygni, de magnitude 4,2), ce qui rend le pointage aisé pour l’astronome amateur. Au nord de cette étoile, la Petite Dentelle est constituée d’un filament comprenant deux brins principaux, s’étendant sur quasiment un demi-degré pour une largeur ne dépassant pas quatre minutes d’arc ; de l’autre côté de l’étoile, le filament s’évase en direction du sud-est autour de trois brins principaux (plus brillants au fur et à mesure que l’on s’éloigne vers l’ouest). Cette partie des Dentelles du Cygne est connue sous la désignation de NGC 6960 (elle n’en constitue en fait qu’une partie).
  • Le Triangle de Pickering se trouve quant à lui au nord-ouest de la nébuleuse. Comme son nom l’indique en partie, il s’agit d’un triangle filamenteux allongé en direction du sud sur environ 45 minutes d’arc (pour une base de 25′ de largeur). Il partage avec la Petite Dentelle la désignation de NGC 6960. Le Triangle de Pickering se prolonge par un long filament de plus de deux degrés de long. Il s’appelle aussi le « Triangle de Williamina Fleming ». Rendons ici justice à celle qui était une remarquable assistante de Edward Charles Pickering à Harvard et c’est bien elle qui a découvert ce triangle (ainsi, entre autres choses, que la fameuse “Tête de Cheval” dans la constellation d’Orion). 
  • Quelques nodosités isolées viennent compléter le tableau, toujours avec l’aspect filamenteux que l’on retrouve dans les parties précédentes. Citons notamment NGC 6974 et NGC 6979, un demi-degré au nord-est du Triangle de Pickering.

 

La Grande Dentelle est la partie la plus brillante et la plus orientale de l’ensemble. Deux sous-parties de cette dentelle portent des noms différents : NGC 6992 (en haut) et NGC 6995 en bas).

Ci-dessous on peut voir un cliché qui ne montre qu’une très petite partie de la Grande Dentelle, NGC 6992 

↑  Sur ces deux photos montrant des détails de la Grande Dentelle, on voit parfaitement bien des filaments éclatants, qui sont en réalité plus des longs plis sur un tissu, vus par la tranche, remarquablement bien séparés en atomes de gaz d’hydrogène (rouge) et d’oxygène (bleu-vert).  ↓

 

 

La Petite Dentelle, NGC 6960 est la partie occidentale de l’ensemble. Du côté opposé de la Grande Dentelle, et plus fine que sa grande sœur, elle est pratiquement de la même longueur.

Quelques gros-plans ci-dessous, où l’on voit notamment, des extensions gazeuses très fines, particulièrement aux limites des dentelles ↓

 

 

Le triangle de Pickering (ou de Williamina Fleming) fait également partie de ce qui est référencé sous NGC 6960. Cette partie doit son nom à sa forme d’un triangle dont la partie la plus pointue est dirigée vers le bas (vers le sud).

Triangle de Pickering, une partie de NGC 6960

 

Et maintenant pour finir, partons de la Terre et dirigeons-nous vers la partie la plus dense de notre galaxie, la Voie Lactée, à la rencontre des Dentelles du Cygne, une vidéo en 3D réalisée par l’ESA, d’une durée de moins d’une minute pour un voyage de 1.440 années-lumière… Cliquez